Au moment où le mur de Berlin tombait (1989) et qu’ainsi le bloc communiste s’effondrait petit à petit, certains proclamaient que l’Occident industrialisé avait finalement trouvé le système favorisant le plus l’épanouissement de la démocratie : le capitalisme libéral. Et pourtant! Près de deux décennies plus tard, le bilan de la progression démocratique dans le monde semble laisser à désirer.
Amorçons par un regard critique (et pessimiste?) pour essayer de mieux comprendre le monde actuel. Aux yeux de plusieurs, les jeunes (sauf quelques idéalistes et/ou carriéristes) perdent leur motivation à s’impliquer en politique active. La «fin de la pauvreté» tant souhaitée (Sachs) est loin des priorités des penseurs néolibéraux du Fonds monétaire international (FMI) ou de la Banque mondiale. Le monde politique est sous domination d’un système transformant les rapports politiques en processus opérationnels (Freitag). On vit une époque de désocialisation, c’est-à-dire de déclin du social au profit de l’économique (Touraine). L’individualisme, plutôt que de nous conduire à une quête de l’authenticité, semble nous mener à une perte de sens (Taylor). Résultats : devant les idéaux écologistes, devant les désirs de développement glocal (global et local) et durable, devant les idéaux d’égalitarisme se dresse une réalité de surconsommation, de croissance illimitée et d’accroissement disproportionnel des inégalités. La démocratie dans tout cela? En Occident, elle se limite à notre visite aux urnes chaque quatre ans. Dans le monde arabe, des populations entières se radicalisent devant l’invasion de cette «démocratie» aux allures belliqueuses. En Chine, on appelle «démocratie» un monde rappelant la dystopie orwellienne de 1984.
Ce pessimisme ci-haut mentionné légitime les scénarios les plus apocalyptiques relatifs à l’avenir de l’humanité. Cependant, ici, c’est justement d’une vision très réaliste que doit se nourrir l’utopie des années deux mille. Elle – nous l’appellerons l’utopie altermondialiste – cherche à bâtir le réel de demain, non en niant la crise que l’humanité traverse, mais en s’y nourrissant. On ne s’oppose plus à l’inévitable mondialisation (anti), mais on veut simplement la faire autrement (alter). C’est selon cette optique que le réel mouvement démocratique contemporain n’a rien de monolithique et de statique comme l’est trop souvent la politique partisane. Il est dynamique, multidimensionnel et fonctionne en réseau. En ce sens, à travers ses principaux adhérents (les jeunes du monde entier), il utilise et maîtrise les nouvelles technologies de l’information et des communications (NTIC).
Ce mouvement altermondialiste prend le visage de la consommation responsable (Naomi Klein et Laure Waridel), de la lutte à la libération des opprimés (les zapatistes du Chiapas), du développement durable (Action Boréale), de la lutte à l’extrême pauvreté (les Objectifs du Millénaire de l’ONU), du commerce équitable (Équiterre), de l’économie sociale et de l’éducation populaire (COMSEP à Trois-Rivières). Par l’entremise de toutes ses ramifications, l’altermondialisme devient un lieu d’éducation, une idéologie et même un mode de vie.
L’altermondialisme prend ses racines à gauche sur l’échiquier politique (de Bourdieu à Negri), mais il s’ouvre également aux penseurs et acteurs d’autres origines idéologiques (de Sachs à Stiglitz), qui souhaitent simplement penser le monde autrement que selon les diktats néolibéraux. Contrairement au mouvement de globalisation qu’il combat, il prône des valeurs d’ouverture culturelle qui s’avèrent indispensables au maintien de la paix dans ce monde où les cultures interagissent comme jamais dans l’histoire. L’altermondialisme, pour reprendre les termes du sous-commandant Marcos, c’est «exercer le pouvoir sans le prendre». C’est critiquer, éduquer, sensibiliser d’abord; et c’est proposer et agir ensuite (les deux étapes allant de pair). C’est la praxis en son sens aristotélicien. C’est elle l’utopie des années deux mille.