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jeudi 13 décembre 2007

L'imagination au pouvoir

Publié au Nouvelliste le 4 janvier 2008

http://www.cyberpresse.ca/article/20080104/CPOPINIONS/801040644/5285/CPOPINIONS

Les banques sont les églises de notre temps. Les criminels financiers (Kenneth Lay, Jeffrey Skilling, Conrad Black, Vincent Lacroix) sont les bandits les plus redoutés de par le monde. La récession est presque aussi crainte que l’apocalypse. Peut-être faudrait-il se demander si l’obsession de l’argent et du profit n’est pas devenue trop omniprésente. J’entends d’ici les économistes libéraux me répondre qu’il faut justement être compétitif et productif; qu’il s’agit du seul moyen de suivre le rythme imposé par la mondialisation. C’est vrai…Mais faut-il à tout prix suivre ce rythme effréné? Quelles sont les autres alternatives?

Lors de la chute du bloc de l’Est au début des années quatre-vingt-dix, une discréditation générale des systèmes non capitalistes s’est imposée. Le bilan des atrocités commises par les systèmes dits socialistes ou communistes était désastreux, de Mao à Ceausescu, en passant par Pol Pot et Staline. Résultat : le communisme tel que pratiqué au siècle dernier est un échec sur toute la ligne. Est-ce à dire que le développement de la globalisation néolibérale démontre la supériorité du capitalisme sur tout autre système? Ce sont les conclusions – quelque peu hâtives – que de nombreux économistes tirent encore aujourd’hui.

Le drame de la chute du bloc de l’Est, ce n’est pas la perte du système communiste en tant que tel. Ce dernier n’avait jamais trouvé les moyens de véritablement éclore en trois quart de siècle. Au nom d’une utopie, il avait gardé serviles des centaines de millions d’êtres humains. Peu d’entre eux voudraient revenir en arrière aujourd’hui. Non, le véritable drame, c’est que par sa chute, le communisme laissait la voie libre à une seule doctrine économique. D’une manière anarchique, le libéralisme économique s’est alors propagé dans toutes les sphères de l’activité humaine, et ce au nom de la mondialisation des marchés. Il s’agit d’un retour à un capitalisme sauvage, à un anarcho-capitalisme pourrait-on dire. Rien ne nous empêche de chercher des solutions aux problèmes de notre temps. Certes. À condition de ne pas remettre le «génie» du capitalisme néolibéral en cause. C’est de cette manière, par exemple, que prend naissance le développement durable, un concept fourre-tout aussi indéfinissable qu’impraticable.

Dans le monde contemporain, force est de constater que le capitalisme néolibéral s’adapte très bien à notre société technicienne. À un point tel qu’il est presque devenu absurde de le questionner ou de vouloir faire les choses autrement. L’humanité fait pourtant preuve, encore une fois, d’une amnésie pathétique en oubliant la crise économique des années 1930. Cette dernière n’avait-elle pas démontré l’inertie et les limites du capitalisme sauvage?

Considérant les défis qui se posent à nous au XXIe siècle (SIDA, réchauffement climatique, problèmes démographiques) et considérant le fait que la croissance exigée par le capitalisme envenime inévitablement ces problèmes, il est encore plus absurde de ne pas réfléchir à une alternative. Pourquoi attendre une crise sociale, économique ou environnementale avant de combattre l’insouciance et l’amoralité de l’anarcho-capitalisme?

Un des slogans des manifestations de mai 68 était «l’imagination au pouvoir». Il appelait à la créativité, à l’ouverture et à l’invention. Plus que jamais, ce slogan demeure d’actualité. Plus que jamais, États, sociétés civiles et peuples doivent user de toute leur créativité pour remettre l’humain et son environnement (c’est là une toute nouvelle donne) au cœur des priorités du système économique.

dimanche 16 septembre 2007

Six ans de guerre au terrorisme

Il y a quelques jours à peine était souligné le sixième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001. De ces attaques du World Trade Center et du Pentagone, vous pouvez retenir le nombre de morts ou encore le caractère spectaculaire. Toutefois, d’une perspective historique, nine eleven représente beaucoup plus qu’un spectacle morbide. Il est un fait de civilisation, c’est-à-dire un tournant historique annonçant de sévères bouleversements idéologiques.

En effet, aujourd’hui, en raison du traumatisme causé d’une part par la médiatisation abusive de l’événement (surinformation et désinformation) et d’autre part par les politiques xénophobes des républicains au pouvoir aux États-Unis, la façon de concevoir la différence – de s’en méfier – s’est trouvée complètement transformée. Autrement dit, en Occident, c’est tout le rapport à l’autre qui est devenu symptomatique de ces quelques heures de tourmente (dans les questions d’immigration, de multiculturalisme, de relations internationales ou simplement dans les questions de sécurité).

Sur la scène internationale, on le sait, deux importantes guerres ont été déclenchées par nos voisins du sud selon ces principes ethnocentriques. Au lendemain du 11 septembre, les tenants de l’idéologie néo-conservatrice ont mis sur pied la fameuse Global War on Terror (GWOT). Selon cette approche géopolitique, le meilleur moyen de lutter contre le terrorisme islamiste est de se lancer à son assaut. Comment? À l’aide de guerres dites préventives. C’est ainsi qu’ont eu lieu les épisodes afghan d’octobre 2001 et irakien de mars 2003. Épisodes toujours en cours, dois-je le préciser.

Officiellement, au départ, la guerre en Afghanistan avait pour missions de chasser les talibans du pouvoir et de capturer le chef d’Al-Qaïda Oussama Ben Laden. Et Pourtant! Aujourd’hui, les talibans continuent d’exercer un puissant contrôle – sinon politique, à tout le moins idéologique – au sud de l’Afghanistan (parlez-en à nos soldats canadiens sur place). Le barbu le plus célèbre du monde, quant à lui, semble aussi bien caché que le monstre du Loch Ness.

Pour nous, Canadiens, l’Afghanistan était l’occasion de participer à un effort de «démocratisation». Soyons lucides quelques instants! C’est le mouvement anti-guerre du début de l’année 2003 qui a poussé le gouvernement Chrétien de l’époque à refuser de s’investir en Irak. À ce moment, suivre les États-Unis dans leur action unilatérale aurait symbolisé rien de moins qu’un suicide politique pour bon nombre de gouvernements à travers le monde, dont le gouvernement libéral canadien. Victoire du mouvement pacifiste me direz-vous? Partielle seulement. Par ricochet, c’est ce même refus canadien de s’impliquer en Irak qui a mené nos soldats à jouer un rôle aussi stratégique en Afghanistan. D’où leur présence dans la région de Kandahar, soit la zone de loin la plus dangereuse du pays.

Six ans après le 11 septembre 2001, il ne fait aucun doute que la lutte mondiale au terrorisme s’avère être un échec sur toute la ligne! Les politiques militaristes des États-Unis et de leurs alliés n’ont mené à rien de moins qu’une exacerbation des tensions interethniques à travers le monde entier. La démocratie dans tout ça? Elle progresse, me direz-vous. En réalité, je ne connais aucun pays d’où la démocratie a germé des suites d’une invasion étrangère.

Aussi dévoués puissent être nos soldats canadiens, leur mission est vouée à un échec tant et aussi longtemps que la présumée «stabilisation» du pays sera priorisée au détriment du développement d’infrastructures scolaires ou communautaires. La coopération internationale présuppose que l’action étrangère ne vient qu’en appui aux initiatives locales. Ainsi, quitte à délaisser temporairement les régions trop hostiles, il est nécessaire de revoir l’entièreté des objectifs de notre présence au Moyen-Orient. La mission canadienne est vouée à un échec tant et aussi longtemps que les Afghans percevront nos soldats comme des envahisseurs.


Publié au Nouvelliste le 18 septembre 2007 sous le titre Un échec sur toute la ligne.

jeudi 13 septembre 2007

Un choc culturel en Amazonie


Este verano, fui en Perú para vivir un grande experiencia cultural. Empecé a aprender un poco de español. Ahora, voy a de repente preparar un otro viaje por el año proximo en Argentina. Voy a ver mas tarde, pero es el tiempo de continuar a mejorar mi tercera idioma.

Entretanto, aquí es un texto que he escrito cuando yo estaba en Iquitos en Junio.




Un choc culturel en Amazonie

En compagnie de dix autres Québécois (dont sept étudiants du Collège Laflèche) je réside depuis quatre semaines dans la ville d’Iquitos au Pérou, en plein cœur de l’Amazonie. À 27 ans, je vis mon premier véritable choc culturel.

Le vendredi 25 mai dernier, nous descendions de l’avion qui nous avait menés au milieu de la forêt amazonienne. Quelques heures plus tôt, nous attendions (entre deux vols) dans un des centres mondiaux de la surconsommation (Miami Beach) et maintenant, nous étions à…Iquitos.

Aéroport en débranle, vieille carcasse d’avion dans le champ juste à cote de la piste où nous venions de nous poser (je ne veux pas savoir ce qui est arrivé à cette avion), bagages manquants de deux des mes compagnons de voyage : Bienvenidos a Iquitos. Dès notre arrivée, on est harcelé par des gens qui veulent porter nos bagages, qui veulent nous mener en ville à bord de leurs « motocarros » (motos taxi) ou qui veulent simplement nous vendre une excursion dans la jungle. On choisit finalement trois taxis qui nous amènent, zigzagant dangereusement entre motos et motocarros, vers la ville.

Quelle ville ! Une ville poussiéreuse, bruyante, polluée. Moi qui ai l’habitude de me repérer dans une ville en un clin d’œil, je suis tout à fait perdu. Toutes les rues, toutes les maisons, toutes les boutiques me semblent identiques. Aucune pancarte pour annoncer les noms de rue. Il faut savoir, c’est tout. ¿Puede usted decirme donde está la calle Manco Capac? (Pouvez-vous me dire où se trouve la rue Manco Capac) Por aca! Por alla! Personne ne le sait au fond…

On se trouve un hébergement pour nos premières nuits, avant d’aménager dans nos familles d’accueil respectives. Aussitôt installé, je sors pour explorer la ville. Je me promène dans les rues et moi, Daniel, celui qui a toujours réussi à passer inaperçu ou qu’il aille, j étais devenu le centre d’attraction, le blanc, le gringo, le riche…le seul barbu de la ville par surcroit. Les jeunes filles me sifflent en riant entre elles, les jeunes garçons me lancent des « Hello ! How are you ? Good Bye ! », soit les trois seules expressions anglaises qu’ils connaissent. Les personnes plus âgées me regardent d’un air suspect comme s’ils se demandaient comment j’avais fait pour me perdre jusqu’ici. « Que suis-je donc venu faire ici(tte) ? » me dis-je alors. Dans ces occasions, on cherche à deviner ce que tous ces gens pensent vraiment de nous. Et ainsi s’enclenche le processus de paranoïa. Comment les gens me perçoivent, comme l’archétype du blanc colonisateur ou comme le chanceux nord-américain ?

Chaque personne réagit différemment, mais dans mon cas, c’est comme cela que j’ai vécu le choc culturel de ma première semaine a Iquitos. Le choc étant passé, on se réveille. On est toujours aussi blanc, aussi gringo, aussi riche (par rapport aux habitants d’Iquitos j’entends), mais on cesse de s’inquiéter. À la suite de ma rencontre avec ma famille d’accueil et de mes rencontres avec des étudiants de l’Alliance française où j’enseigne pendant mon séjour ici, j’ai appris à apprécier cette ville. J’ai appris a m’imprégner des valeurs des gens qui m’entourent. Tout en demeurant très Québécois dans ma façon de raisonner, j’en viens à comprendre les préoccupations de la population d’ici, tellement différentes de celles du Québec.

Tant et aussi longtemps qu’il ne s’enferme pas dans des carcans idéologiques, l’être humain a une capacité d’adaptation hors du commun. Vivre un choc culturel, c’est justement s’adapter. C’est voir que sur le terrain (et non seulement dans les théories sociologiques), des gens vivent et pensent complètement différemment de nous. C est voir qu’on peut, à notre tour, se retrouver dans le statut de minoritaire par sa couleur de peau, par ses idées, par sa vision du monde. Au fond, vivre un choc culturel, c’est passer outre les profondes différences qu’il peut y avoir entre deux cultures et prendre finalement conscience des traits communs qui unissent tous les êtres humains.



Publié au Nouvelliste le 9 juillet 2007

http://www.cyberpresse.ca/article/20070709/CPNOUVELLISTE/70709093/5052/CPNOUVELLISTE

mercredi 2 mai 2007

Craintes déraisonnables

Il ne passe pas une semaine sans qu’on n’entende parler dans les médias de la question des accommodements (dé)raisonnables. Le débat entourant le port du kirpan, les fenêtres givrées du YMCA, le code de vie d’Hérouxville, l’histoire abracadabrante de la cabane à sucre en Montérégie : tous ces événements hyper-médiatisés sont confondus avec les problèmes d’extrémisme, d’intégrisme et de terrorisme. À un point tel que certains en viennent à croire que le Québec devient, petit à petit, une terre d’accueil pour les terroristes de demain. De façon complètement absurde, on agit parfois comme si les sikhs ou les musulmans représentaient une plus grande menace à l’identité québécoise que ne l’est la culture étasunienne. Le temps est peut-être venu de relativiser quelque peu les choses.

Il ne faut pas se cacher la tête sous le sable, il y a réellement des problèmes d’intégrisme religieux dans notre monde. Ce problème n’a rien de québécois, il est mondial et il menace le statut des femmes et le développement de la démocratie dans plusieurs pays. La misère et la détresse sociale sont des terreaux fertiles aux intégrismes. Des jeunes sans possibilité d’avenir apprennent à haïr l’Occident et la modernité comme si c’était la source de toute leur misère. Ces jeunes deviennent parfois terroristes, car, croient-ils, il s’agit du moyen de combattre l’origine du mal. Pendant ce temps, en Amérique, des jeunes adultes qui ne comprennent pas toujours la différence entre musulmans et intégristes apprennent à diaboliser – ou déshumaniser – le monde arabo-musulman dans son entier. Ces jeunes s’engagent en Irak ou en Afghanistan dans le but, croient-ils, de débarrasser le monde de quelques parasites rétrogrades qui menacent la progression des idées libérales.

Le problème n’est pas simple, car il vient d’une intolérance réciproque. La fermeture à la différence est la source de presque tous les conflits dans le monde contemporain. On est entré à l’époque des «identités meurtrières» dirait l’écrivain Amin Maalouf, c’est-à-dire une époque où les conflits sont presque tous à teneur identitaire. Plutôt que de voir l’autre comme un alter ego (un autre moi, un semblable), l’être humain des années deux milles semble s’attarder aux appartenances religieuses ou aux appartenances nationales avant de considérer l’appartenance à l’espèce humaine. Il s’agit d’un spectaculaire illogisme si on considère tous les défis – écologiques entre autres – auxquels l’humanité en entier fait présentement face, sans égard pour la langue ou le religion de chacun.

En tant que Québécois vivant en 2007, j’aurais raison de vouloir «protéger» des traits de mon identité qui me viennent de mes ancêtres (ma langue, mes croyances, mon mode de vie, etc.). Or, je ne dois pas oublier que je ressemble beaucoup moins à mon arrière-grand-père que je peux ressembler à un Américain, un Tunisien ou même un Sud-Coréen qui vit à la même époque que moi et qui connaîtra, tout comme moi, les problèmes liés au réchauffement de la planète ou à l’hyper-croissance du capitalisme. «Les hommes sont plus les fils de leur temps que de leurs pères» disait l’historien Marc Bloch. Pour cette raison, et considérant le monde «mondialisé» dans lequel nous vivons, la peur de l’étranger (xénophobie) est le pire danger qui nous guette. C’est la menace qu’il faudra vaincre si on veut que nos descendants voient un jour ce que Jacques Attali appelle, dans son Histoire de l’avenir, l’hyper-démocratie.Être tolérant envers les membres des communautés culturelles qui s’installent au Québec, ce n’est pas être négociable sur les questions de la démocratie, du statut de la femme ou de la protection de la langue française. Être tolérant, c’est simplement faire preuve d’ouverture, de compréhension et d’accueil, sans «pré-jugements». C’est ce qu’on appelle le relativisme culturel, par opposition à la xénophobie ou à l’ethnocentrisme.

Notre crise démographique obligeant, le Québec continuera d’être une terre d’accueil aux immigrants, qu’on le veuille ou non. Faisons alors la distinction entre les véritables défis de notre société et les comportements paranoïaques qui stigmatisent les immigrants et qui prennent tellement trop de place dans nos médias. C’est le premier pas vers une intégration réussie des néo-Québécois.

mercredi 28 février 2007

Pourquoi voter? Voter pour quoi?

Une autre campagne électorale est en cours. Tout comme celle de 2003, les mêmes thèmes refont surface : santé, éducation, baisses d’impôt, paiement de la dette, environnement, etc. Les partisans campent leurs positions respectives sur le programme de leur parti. Ils le font d’une manière dogmatique, comme si l’élection de leurs représentants allait modifier le cours de l’histoire du Québec. Simple idéalisation partisane ou exagération de la réalité?
En fait, ces partisans n’ont pas toujours tort de penser que l’élection d’un nouveau parti peut représenter un renouveau idéologique pour une société. Deux exemples : les élections du PLQ et de «l’équipe du tonnerre» de Jean Lesage en 1960 et du PQ de René Lévesque en 1976 qui ont toutes deux accéléré la modernisation du Québec.

Pourtant, chaque fois qu’une campagne électorale s’entame – qu’elle soit fédérale ou provinciale – les mêmes discours désillusionnés et cyniques refont surface. «Blanc bonnet, bonnet blanc» disent certains. D’autres arguent que les vrais partis susceptibles de modifier le cours des choses sont, et restent toujours, dans l’opposition. Mais à force de répéter haut et fort que nous vivons en démocratie, nous en venons à oublier que la démocratie est un projet perpétuellement inachevée. Certains (et je suis de ceux-là) diraient même qu’il s’agit d’une utopie dont on s’éloigne plutôt qu’on ne s’approche depuis quelques années. Et les discours cyniques ne peuvent qu’aggraver les choses.

Parmi les raisons qui nous font croire que la politique n’est plus qu’au service de l’Ordre marchand, il y a les travers des systèmes bipartites comme aux États-Unis, le poids de plus en plus important des lobbies et groupes de pression dans la prise de décisions de nos gouvernants ainsi que l’ouverture des marchés à la globalisation entraînant des pertes d’emplois et une baisse des conditions de travail. Lentement mais sûrement, l’idéologie néolibérale élimine, privatise et sous-traite dans un objectif d’efficience, de profit et de croissance. C’est «l’éloge de la richesse» et les gouvernements autant que les mouvements sociaux ne peuvent rien y changer. C’est, du moins, la vision pessimiste.

Pourtant, depuis cinq ou dix années, l’environnement est passé d’un sujet d’écolos et d’intellos à une préoccupation populaire. «L’ex-futur» président des États-Unis Al Gore mène une énorme campagne de sensibilisation pour contrer le réchauffement climatique. Des États et des municipalités américains ont pris des mesures radicales pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Au Canada, le gouvernement minoritaire de Stephen Harper s’est vu dans l’obligation de «verdir» son programme devant les revendications des partis d’opposition et des mouvements sociaux. Stéphane Dion a même réussi l’exploit de devenir chef du Parti libéral du Canada en cachant son manque de charisme (et de leadership diraient les conservateurs) derrière ses pancartes vertes. Chez les jeunes Québécois, l’environnement est devenu un sujet aussi important que l’éducation ou la santé. En ce sens, tous les partis doivent adapter leurs plate-formes électorales aux besoins de la population. Et ils le font!

Pourquoi aller voter si les partis politiques ont si peu de pouvoirs réels? Pour empêcher qu’on ne s’éveille un jour en se rendant compte que la démocratie est devenue qu’une supercherie, qu’une manipulation sémantique de l’esprit. La démocratie, ce n’est pas de léguer toutes nos responsabilités entre les mains de quelques élus. Les citoyens ont des droits, mais ils ont aussi des responsabilités comme celle de s’informer au-delà des quelques clips publicitaires et des reportages de 30 secondes de nos téléjournaux. Irez-vous consulter les programmes des cinq partis provinciaux sur Internet? Connaîtrez-vous les conséquences de votre choix le 26 mars prochain?

Albert Einstein disait que «le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent agir et refusent d’intervenir». Le simple fait de voter est bien insuffisant me direz-vous, mais c’est tout de même le premier geste symbolique de l’engagement citoyen.

Objectif décroissance

Voici un texte publié au Nouvelliste au début décembre

Ne l’entend-on pas souvent? Il faut à tout prix contribuer à la croissance de notre région, de notre province, de notre pays. D’accord! Comment pourrait-on être contre ces belles intentions? Cependant, nous arrive-t-il de nous questionner à savoir ce qui se cache derrière cette notion de croissance?

À l’époque de la Guerre froide, il était facile de prendre parti. Le monde était divisé en deux. Au sens pragmatique du terme, c’est vrai, le meilleur système l’a emporté. Croyez-moi, la compétitivité, l’ouverture des marchés, la recherche de l’intérêt personnel et même la croyance mythique en la main invisible ne me font aucunement regretter le système soviétique. Par ses mécanismes de régulation interne, le capitalisme pousse tout individu à rechercher la productivité (dans son travail d’abord, mais dans sa vie personnelle ensuite). Le capitalisme ne peut survivre qu’en état de perpétuelle croissance, d’où cette nécessité de vouloir innover, de vouloir se dépasser, de vouloir être «compétitif» au plan individuel autant qu’au plan collectif. En ce sens, il est un système économique tout simplement formidable.

Mais un système économique, aussi formidable puisse-t-il être, a ses failles et ses lacunes, et ne doit jamais être érigé au rang de dogme. Ne connaît-on pas, au moins depuis Marx, l’amoralité, l’asocialité et l’inhumanité du capitalisme? Je me questionne, car depuis la chute du mur de Berlin, l’humanité semble se résigner au fait qu’il n’y a qu’une vérité, qu’un bon système : le capitalisme, version néolibérale. Elle est là l’erreur qui pourrait causer notre perte.
Tant et aussi longtemps que la croissance économique servait les intérêts de l’humanité, il était possible de voiler les déficiences du capitalisme en prétextant qu’un jour ou l’autre tous allaient profiter des retombées positives du «progrès». Or, ce dont il faut prendre conscience dorénavant, c’est que croissance économique rime avec une destruction effrénée des ressources naturelles, avec la modification irréversible du climat de la planète et, bien sûr, avec la fragilisation de la vie sous toutes ses formes (même humaine).

Mon discours n’est pas écologiste. Au contraire, il est très anthropocentrique. Peu importe, ce que nous ferons de notre planète ces prochaines décennies, je suis convaincu qu’une forme de vie quelconque saura bien se perpétuer. Ce n’est ni le sort des poissons, ni le sort des phoques qui me préoccupent. Ce qui m’interpelle, c’est le sort de l’espèce humaine. Au nom de principes économiques, au nom du dieu de la croissance, l’humanité détruit les conditions mêmes de sa survie.

Parlez de développement durable si vous le voulez, parlez de Kyoto. Ce sont des premiers pas (bien insuffisants) que même nos gouvernements ne sont pas prêts à franchir. L’avenir de l’humanité ne passe pas par un «développement» durable, mais bien par une «décroissance» contrôlée. Mon discours est tout à fait illogique, irrationnel, voire illusoire selon un paradigme économiste. Cependant, l’humanité a franchi la limite de la logique et du raisonnable depuis longtemps. C’est le paradigme de la morale et de l’éthique qui devrait maintenant conditionner nos actions, sans quoi cette décroissance sera soudaine et définitive. Concrètement, en Occident, une décroissance devrait prendre la forme d’une élimination de toute surconsommation. J’irais même plus loin en avançant que même la publicité pernicieuse encourageant la surconsommation devrait être abolie. Vous voulez des suggestions : conserver son automobile quinze années au lieu de quatre, allonger la durée de vie des objets qu’on achète et cesser de suivre les «tendances» (une télévision neuve, une voiture neuve, un réfrigérateur neuf), utiliser le transport en commun, réduire significativement le montant dépensé pour les cadeaux de Noël (pourquoi pas?!).

Dans les années soixante, on rêvait du XXIe siècle comme d’une société du loisir qui privilégierait les relations humaines. Y sommes-nous parvenus? Non. On travaille plus qu’avant pour répondre aux besoins artificiels de notre mode de vie ainsi que pour pouvoir payer les dettes que créent ces besoins. Ensuite, on se fait dire par M. Lucide Bouchard qu’on ne travaille pas assez, qu’on n’est pas suffisamment compétitif. Et on oublie que ce désir d’augmentation de la productivité répond à une logique capitaliste qui ne se soucie guère de l’éboulement que la montée vers le sommet provoque. Pour paraphraser les Cowboys Fringants : on vit dans un «univers où le verbe avoir a pris le dessus sur le verbe être, où tous les gens se font accroire que la possession est la seule quête». Achèterez-vous autant de cadeaux à Noël?