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Professeur de sociologie et d'histoire.

samedi 11 juillet 2009

L'engagement citoyen des jeunes au Québec

Ces trois articles sont inspirés des résultats d’un mémoire de maîtrise en sociologie réalisé à l’Université Laval et déposé en avril de cette année. Le mémoire intitulé Les motivations à l’engagement citoyen des jeunes Québécois à l’ère postmoderne a été réalisé sous la direction de Mme Andrée Fortin et ses résultats sont le fruit d’entretiens réalisés auprès de jeunes de 18 à 25 ans qui s’engagent dans leur milieu.

1. Que signifie l’engagement citoyen pour les jeunes d’aujourd’hui?

Au moment où j’amorçais mes études de maîtrise à l’Université Laval (janvier 2004), je vivais des questionnements quant à l’engagement politique de ma propre génération. Malgré mon fort intérêt pour la politique, je constatais m’être moi-même trop peu impliqué en politique active, que ce soit au sein d’ailes jeunesse de partis politiques ou même au sein d’associations étudiantes. Un texte que j’écrivais en octobre 2003 (publié au Nouvelliste sous le titre «Pourquoi combattre?») décrivait bien mon sentiment par rapport à l’engagement de ma génération. J’écrivais que «jamais la jeunesse n’a[vait] été aussi désillusionnée et pessimiste face à son pouvoir de changer réellement les choses par la politique, de faire cesser les injustices par cette voie».

Avais-je tort? Les jeunes au Québec sont-ils vraiment cyniques, désillusionnés, voire apathiques, face aux questions d’ordre politique? Cette question a agi comme leitmotiv de mon projet de maîtrise. J’ai voulu mieux comprendre l’engagement citoyen des jeunes et, par le fait même, c’est bien évident, mes propres comportements d’engagement.

Un des résultats significatifs tient à la définition même de l’engagement citoyen. Pour les jeunes Québécois, s’engager dans son milieu signifie être en action. Plusieurs des jeunes rencontrés insistent sur l’importance d’être conscientisés aux problèmes d’ordre collectif. Or, la conscientisation et la sensibilisation renvoient pour eux à la passivité. Il faut faire plus! S’engager, c’est militer, organiser, diriger, manifester! Mais s’engager, c’est surtout être en mesure de transformer son mode de vie. Par exemple, il ne sert à rien d’avoir une «conscience» écologiste si on n’en applique pas les principes à notre vie quotidienne.

En outre, les jeunes sont très actifs, peut-être même davantage que les générations précédentes. Par exemple, le mouvement de grève étudiante du printemps 2005 n’a rien à envier aux manifestations des années 1960 et 1970. Le dynamisme étudiant en matière de consommation responsable ou en matière environnementale indique également à quel point les jeunes adoptent des comportements éthiques. C’est là tout le contraire de l’apathie, n’est-ce pas?

En contrepartie, plusieurs préfèrent ne pas s’engager s’ils ne constatent pas immédiatement les résultats de leurs actions. C’est pourquoi les luttes locales et personnelles sont privilégiées aux grands débats idéologiques et aux projets de société, car elles permettent plus facilement l’efficience de l’action d’engagement. C’est pourquoi, également, la participation électorale connaît des ratés aussi «catastrophiques», pour reprendre les termes du Directeur général des élections du Québec (décembre 2008). L’engagement citoyen, c’est travailler pour «un monde meilleur» disent plusieurs jeunes. Or, pour eux, ce monde meilleur ne se bâtit pas toujours à travers les organes politiques officiels. La politique active, oui, c’est important! Mais elle embrigade trop pour une jeunesse qui craint tant le dogmatisme et la pensée unique. Les partis politiques contemporains ne devraient-ils pas s’inspirer de ces résultats pour se transformer, pour devenir des partis beaucoup plus décentralisés, où les débats d’idées ont libre cours? Le question reste en suspens.

2. La génération Y : pourquoi s’engager?

Ce travail de maîtrise sur l’engagement citoyen était également un moyen de mieux connaître cette génération de jeunes qu’on appelle «génération Y». Les Y (nés entre 1978 et 1990) sont les premiers enfants de l’ère Internet. Ils maîtrisent les technologies, mais en sont très dépendants. Ils sont aussi perçus comme les enfants de la Charte des droits et libertés. Leur liberté d’action est essentielle, tout comme l’est leur autonomie. Avant d’entreprendre une tâche, ces jeunes veulent en comprendre le sens. C’est la génération du «pourquoi».

Dans l’engagement citoyen, le «pourquoi» est donc à la base même des motivations à s’engager. Pourquoi ce groupe plutôt qu’un autre? Pourquoi cette cause? Pourquoi agir ainsi? Ces jeunes ont en aversion l’action aveugle et la crédulité. Pour nombre d’entre eux, l’adhésion aux idées d’un parti politique peut être perçue comme le renoncement à la critique et à la liberté de pensée. Si, autrefois, le monde de leurs parents était un monde où les idéologies prenaient toute la place, et de façon manichéenne (capitalistes contre communistes; souverainistes contre fédéralistes), leurs propres comportements d’engagement entrent aujourd’hui en rupture avec cette façon de faire, laissant davantage de place aux nuances, aux zones grises, aux «pourquoi».

C’est pour laisser cette place à la nuance que les jeunes qui s’engagent aujourd’hui refusent de ne servir qu’une seule cause ou qu’un seul groupe. Certains vont s’impliquer au sein de partis politiques ou d’associations étudiantes, d’autres vont privilégier l’action communautaire ou les causes écologistes. Cependant, peu importe leur secteur d’implication, l’engagement citoyen n’est jamais inconditionnel et toujours révocable. Il doit appeler l’esprit critique et permettre l’expérimentation et les rencontres. Il doit être utile pour soi. S’il ne l’est plus, c’est qu’il est temps de cesser l’engagement. C’est pourquoi règne une certaine méfiance des engagements permanents. Par une adhésion multiple, les jeunes peuvent s’impliquer dans divers groupes simultanément, côtoyant diverses causes et, bien sûr, divers individus. Néanmoins, leur engagement est trop souvent «dégagé», c’est-à-dire temporaire et conditionnel.

Pour les jeunes, l’engagement appelle la réciprocité : il permet de servir tout autant qu’il leur sert. Par exemple, ils reconnaissent que les relations interpersonnelles dans l’engagement sont très utilitaires, d’où l’importance accordée au réseautage (on voit là l’influence d’Internet). Ils vont s’entourer de personnes efficaces, complémentaires à eux, qui peuvent leur apprendre ou qui peuvent, tout simplement, leur apporter de la reconnaissance. Ceci dit, l’engagement citoyen n’est pas totalement utilitaire. Les jeunes que j’ai rencontrés s’engagent pour de véritables motifs collectifs. Ils cherchent sincèrement à «bâtir» leur monde meilleur. Et pour y arriver, ce qui compte, ce n’est pas la fidélité aux groupes pour lesquels ils adhèrent, mais la fidélité à leurs propres idéaux (symboles de leur liberté). L’engagement citoyen agit en quelque sorte comme une quête d’authenticité, une quête de soi. Se fondre à un parti, à un groupe, à une cause ou à une idéologie, ce serait, pour plusieurs, la négation même de cette quête.

3. Quel avenir politique pour le Québec?

L’avenir politique du Québec inquiète. D’importantes questions émergent de l’actualité. Comment le Québec compte sortir indemne de la présente crise économique malgré sa dépendance économique au géant étasunien? Qu’en est-il de l’avenir de la langue française en Amérique? Combien de temps durera l’immobilisme québécois en matière environnementale? Enfin et surtout, comment tous ces défis pourront être relevés dans une conjoncture de crise démographique?

Ces questions constituent de réelles préoccupations pour ces jeunes que j’ai rencontrés dans le cadre de ce travail de maîtrise. Ils s’engagent notamment pour répondre à une ou plusieurs de ces interrogations. S’ils sont apathiques et cyniques, ce n’est que face aux instances qui demeurent passives devant ces problèmes.

Certains baby-boomers peuvent déplorer le fait que les jeunes ne portent pas de projets de société, comme «dans leur temps» (indépendance du Québec, socialisme, société du loisir). Cette perception est faussée par la simple supériorité numérique des boomers. Par la seule force du nombre, les jeunes des années 1960 et 1970 étaient en mesure de transformer leur société. Ils avaient pour ainsi dire le pouvoir d’agir, notamment en politique. Ainsi s’est développée une perception romantique des jeunes de cette époque. Étaient-ils tous si engagés et si intéressés par l’action politique? Bien sûr que non. Mais ils croyaient assurément à leur pouvoir d’action par cette voie, ce qui ne peut plus être aussi facilement le cas des enfants de la crise démographique. Ces derniers pourfendent ce monde de rêveurs et d’idéalistes dont sont issus leurs parents. À ce titre, aucun des jeunes rencontrés ne dit suivre les traces de ses parents en matière d’engagement citoyen. Opposition générationnelle? Opposition idéologique? Sans doute un peu des deux.

Les jeunes d’aujourd’hui rêvent eux aussi d’un monde meilleur, mais ils sont surtout des pragmatiques. Ils vont privilégier une résolution adaptative de problèmes courants, favorisant par exemple l’action locale et personnelle. Si les actions gouvernementales ne sont plus le vecteur de changement qu’elles étaient, on passera par l’action communautaire. Si la politique active est devenue trop basée sur l’artifice, on agira au sein de groupes de pression. Et si ces groupes de pression ne rejoignent pas notre vision, on agira individuellement. Voilà tout!

Cependant, à force de vouloir résoudre pragmatiquement les problèmes qui s’abattent sur soi, on en oublie parfois le sens même de nos actions. Les jeunes Québécois sont peut-être aujourd’hui les victimes de leur propre pragmatisme. En investissant de leur temps et de leur énergie dans des actions hors de la sphère politique, ils dynamisent assurément de nouveaux milieux d’engagement. Mais leur désertion partielle de la politique active pourrait bien mener leurs propres idéaux à leur perte. Malgré tous leurs défauts, les partis politiques ont cet avantage qu’ils peuvent – quand ils le veulent – être la courroie de transmission entre l’idéologie et l’action. Pour une génération en quête d’authenticité, il semble ironique qu’il faille– de façon subversive – intégrer cette politique spectacle pour transformer leur société. Mais c’est justement par une implication politique de jeunes intègres, authentiques et sûrement idéalistes que la politique pourra se renouveler et s’adapter aux problématiques québécoises contemporaines. N’en a-t-elle pas cruellement besoin?