Il ne passe pas une semaine sans qu’on n’entende parler dans les médias de la question des accommodements (dé)raisonnables. Le débat entourant le port du kirpan, les fenêtres givrées du YMCA, le code de vie d’Hérouxville, l’histoire abracadabrante de la cabane à sucre en Montérégie : tous ces événements hyper-médiatisés sont confondus avec les problèmes d’extrémisme, d’intégrisme et de terrorisme. À un point tel que certains en viennent à croire que le Québec devient, petit à petit, une terre d’accueil pour les terroristes de demain. De façon complètement absurde, on agit parfois comme si les sikhs ou les musulmans représentaient une plus grande menace à l’identité québécoise que ne l’est la culture étasunienne. Le temps est peut-être venu de relativiser quelque peu les choses.
Il ne faut pas se cacher la tête sous le sable, il y a réellement des problèmes d’intégrisme religieux dans notre monde. Ce problème n’a rien de québécois, il est mondial et il menace le statut des femmes et le développement de la démocratie dans plusieurs pays. La misère et la détresse sociale sont des terreaux fertiles aux intégrismes. Des jeunes sans possibilité d’avenir apprennent à haïr l’Occident et la modernité comme si c’était la source de toute leur misère. Ces jeunes deviennent parfois terroristes, car, croient-ils, il s’agit du moyen de combattre l’origine du mal. Pendant ce temps, en Amérique, des jeunes adultes qui ne comprennent pas toujours la différence entre musulmans et intégristes apprennent à diaboliser – ou déshumaniser – le monde arabo-musulman dans son entier. Ces jeunes s’engagent en Irak ou en Afghanistan dans le but, croient-ils, de débarrasser le monde de quelques parasites rétrogrades qui menacent la progression des idées libérales.
Le problème n’est pas simple, car il vient d’une intolérance réciproque. La fermeture à la différence est la source de presque tous les conflits dans le monde contemporain. On est entré à l’époque des «identités meurtrières» dirait l’écrivain Amin Maalouf, c’est-à-dire une époque où les conflits sont presque tous à teneur identitaire. Plutôt que de voir l’autre comme un alter ego (un autre moi, un semblable), l’être humain des années deux milles semble s’attarder aux appartenances religieuses ou aux appartenances nationales avant de considérer l’appartenance à l’espèce humaine. Il s’agit d’un spectaculaire illogisme si on considère tous les défis – écologiques entre autres – auxquels l’humanité en entier fait présentement face, sans égard pour la langue ou le religion de chacun.
En tant que Québécois vivant en 2007, j’aurais raison de vouloir «protéger» des traits de mon identité qui me viennent de mes ancêtres (ma langue, mes croyances, mon mode de vie, etc.). Or, je ne dois pas oublier que je ressemble beaucoup moins à mon arrière-grand-père que je peux ressembler à un Américain, un Tunisien ou même un Sud-Coréen qui vit à la même époque que moi et qui connaîtra, tout comme moi, les problèmes liés au réchauffement de la planète ou à l’hyper-croissance du capitalisme. «Les hommes sont plus les fils de leur temps que de leurs pères» disait l’historien Marc Bloch. Pour cette raison, et considérant le monde «mondialisé» dans lequel nous vivons, la peur de l’étranger (xénophobie) est le pire danger qui nous guette. C’est la menace qu’il faudra vaincre si on veut que nos descendants voient un jour ce que Jacques Attali appelle, dans son Histoire de l’avenir, l’hyper-démocratie.Être tolérant envers les membres des communautés culturelles qui s’installent au Québec, ce n’est pas être négociable sur les questions de la démocratie, du statut de la femme ou de la protection de la langue française. Être tolérant, c’est simplement faire preuve d’ouverture, de compréhension et d’accueil, sans «pré-jugements». C’est ce qu’on appelle le relativisme culturel, par opposition à la xénophobie ou à l’ethnocentrisme.
Notre crise démographique obligeant, le Québec continuera d’être une terre d’accueil aux immigrants, qu’on le veuille ou non. Faisons alors la distinction entre les véritables défis de notre société et les comportements paranoïaques qui stigmatisent les immigrants et qui prennent tellement trop de place dans nos médias. C’est le premier pas vers une intégration réussie des néo-Québécois.