L’année 2009 s’est entamée sur une pluie de mauvaises nouvelles économiques. L’indice de confiance des consommateurs américains est au plancher. Les taux de chômage sont en hausse au Canada comme aux États-Unis (respectivement 7,7% et 8,1% en février). Le symbole même de la réussite américaine, l’industrie automobile, est agonisant.
Pourtant, nous ne sommes même pas enfoncés dans les gouffres les plus profonds de cette crise que, déjà, des commentateurs de l’actualité parlent de reprise. Des économistes expliquent la crise en termes de cycles économiques, comme s’il s’agissait d’une science exacte, prévisible et asociale. Or, il n’y a pas plus grave erreur que d’appréhender la crise actuelle selon une perspective strictement économique (économiste dirait-on). Les indices de croissance, d’emploi ou de confiance des consommateurs fournissent certainement d’excellentes prévisions statistiques, mais fournissent-ils des solutions à des crises humanitaires et environnementales? En tiennent-ils même compte dans leur calcul?
Ces dernières années, le fait d’«empoisonner» le discours économique par des préoccupations sociales et environnementales était un «défaut» typique des tenants d’un discours de gauche. Aujourd’hui, qu’en est-il? À droite comme à gauche sur l’échiquier politique, il est temps de reconnaître les aberrations commises au nom du marché, au nom d’une «doctrine de choc néolibérale» (Naomi Klein, 2007). D’aucuns proposent de tout simplement sortir du capitalisme pour sauver la planète (Hervé Kempf, 2009); d’autres suggèrent plutôt une énième réforme de ce système (le vent d’espoir obamien). Il faut à tout le moins s’entendre sur la nécessité de tirer un trait sur cette ère kleptocratique (le pouvoir par le vol) rendue possible par le capitalisme de type financier.
La crise actuelle fournit l’illustration qu’une valorisation outrancière de l’individualisme peut mener à une forme de narcissisme destructeur de toute solidarité. Les crédos de la réussite, de l’efficacité, du pragmatisme, de l’adaptabilité et de l’utilitarisme participent à cette désolidarisation. Le premier défi auquel l’humanité fait donc face concerne la recréation d’espaces de solidarité. Il s’agit de combattre les affres d’une globalisation des marchés inadaptée à l’humain en repensant le monde à travers une société civile plus dynamique.
Soyons sensibles à la nouvelle réalité sociopolitique. Le progressisme contemporain ne passe plus uniquement par des structures intermédiaires souvent désuètes et inefficaces (État, partis politiques, syndicats aux allures corporatistes). Il passe aussi par l’altermondialisme qui offre des espaces publics dynamiques. Par altermondialisme, il faut entendre ce gigantesque «mouvement des mouvements» qui propose de revaloriser la place du social dans un monde dominé par une dictature de l’économie. Il permet d’imaginer «un autre monde possible» comme l’exprime son slogan (et titre d’un ouvrage de Joseph Stiglitz, 2006). Concrètement, de nouveaux liens sociaux se tissent à travers des plates-formes de l’altermondialisme aussi diversifiées que les forums sociaux (mondiaux, nationaux, régionaux), les organismes de solidarité internationale, les organisations non gouvernementales, les organismes communautaires, les entreprises d’économie sociale.
Que sera le monde au lendemain de la crise mondiale? En Occident, grâce aux altermondialistes, de plus en plus de gens se sensibilisent et se conscientisent à une pluralité de problématiques (inégalités sociales, crises humanitaires, fragilité de la planète et par le fait même de notre espèce). Devant cette prise de conscience, l’être humain peut abdiquer et se contenter d’attendre qu’un futur obscur s’abatte sur lui. Il peut s’isoler et nier la réalité qu’il connaît. Devant le sentiment d’impuissance, la tentation est forte de sombrer dans la passivité, le cynisme et l’inaction. Or, la conscience ne vient-elle pas avec des responsabilités? Pour paraphraser Albert Einstein, «le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent agir et refusent d’intervenir».
Publié au Nouvelliste le 26 mars 2009