En quelques mots, il venait d’effacer du revers de la main une particularité importante de l’identité canadienne. En une phrase ou deux, il venait de changer la façon dont les autres nous regarderaient.
Il, c’est notre premier ministre Stephen Harper; les quelques mots, ce sont ceux qu’il a prononcés au tout début de la crise au Proche-Orient en prenant nettement partie pour le camp israélien; les autres, ce sont les populations du monde entier qui, habituellement, perçoivent le Canada comme un pays neutre, comme un pays de tolérance et d’ouverture.
La question n’est même pas de savoir si les attaques israéliennes sur le Liban sont justifiées ou non. La question n’est pas non plus de savoir comment il serait possible de calmer cette poudrière proche-orientale qui est à la source du mythe du «choc des civilisations». Ceci est un débat extrêmement complexe que seule la diplomatie pourra, à longue échéance, dénouer.
Ce qu’il faut discuter ici, c’est la place que le Canada peut et doit jouer sur la scène internationale. Rappelons-nous que c’est Lester B. Pearson, en 1956, qui est à l’origine de la création des forces de maintien de la paix des Nations Unies, les casques bleus. Rappelons-nous également que même si le Canada était du côté du «monde libre» durant la guerre froide, il a refusé de s’impliquer directement dans le conflit au Vietnam et il est demeuré sensiblement ouvert à certains régimes socialistes (pensons aux bonnes relations Trudeau-Castro). Aussi, dernièrement, le Canada a refusé d’intervenir en Irak aux côtés des Américains, ce qui s’est avéré sans doute la meilleure décision de toute la carrière de Jean Chrétien. Pour ces raisons et bien d’autres, le Canada est perçu comme un pays d’une force militaire très modeste mais d’une force diplomatique très puissante. À vrai dire, peu de pays dans le monde peuvent se vanter d’avoir une aussi bonne réputation à l’international que le Canada.
Ça, c’était avant Harper. Cette réputation chèrement acquise est sur le point de s’écrouler sous le poids des politiques intérieures répressives et des politiques extérieures belliqueuses du gouvernement conservateur. Avoir de bonnes relations diplomatiques avec notre voisin du Sud ne signifie pas devenir son alter ego ou sa version miniature. En prenant position pour Israël, Harper déclarait indirectement la guerre à tout le monde arabe. Geste malhabile il va s’en dire. Pire encore, il retirait le Canada du nombre des rares pays susceptibles, par leur neutralité, de rechercher une solution diplomatique au conflit. Par cette prise de position, Harper rendait le Canada inapte dans ce qu’il fait de meilleur : la diplomatie.
Désire-t-on un Canada qui envoie plus de troupes pour occuper l’Afghanistan et l’asservir économiquement? Désire-t-on un Canada qui se sent obligé de prendre partie pour Israël dans un conflit pour lequel leur seul pouvoir d’intervention pourrait en être un diplomatique? Tant qu’à y être, désire-t-on que le Canada s’implique militairement dans le bourbier irakien? Il serait préférable de penser sérieusement à ces questions avant les prochaines élections. Le gouvernement Harper n’est pour l’instant que minoritaire, vous vous en souveniez?
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