Encore aujourd'hui j'ai peine à me décrire comme intellectuel. Ou peut-être ai-je peur de le faire, considérant les obligations que cela amène.
L'intellectualisme - mais c'est aussi le cas du sport - naît et prend de l'ampleur dans les sociétés où une tranche de la population peut se permettre une certaine inactivité, voire une certaine oisiveté. Le confort de la société post-industrielle permet à plusieurs d'entre mes pairs (disons Québécois dans la vingtaine) de se consacrer aux études.
Mais tout cela n'est que fiction. Prenons l'exemple d'une personne âgée pour qui les études signifiaient la libération, pour qui l'université a été synonyme d'éclosion de la société québécoise quand son accès fut libéralisé (révolution tranquille). Pour cette personne, un universitaire comme moi est nécessairement un mystérieux personnage qui détient un savoir inaccessible, qui détient entre autres le pouvoir d'agir sur la société. Ok, je vous l'accorde, j'exagère quelque peu. Mais c'est peut-être que cette relation de respect des études est inconsciente. Peu importe, je m'égare...
Reprenons... Contrairement à ce qu'une personne n'ayant pas eu l'accès aux études peut penser, l'université à elle-seule (surtout celle du XXIe siècle) ne libère pas. Elle ouvre des portes sur le marché du travail c'est indéniable. Mais elle ne produit que des intellectuels passifs. Définition d'intellectuel passif : personne avec la capacité de savoir, qui parfois sait, mais qui préfère l'ignorance et l'inaction. Passer de la passivité à l'activité intellectuel demande un effort «surhumain» dirait Nietzsche. Mais c'est pourtant mon défi.
J'ai beaucoup étudié. Je suis devenu un intellectuel prêt à l'action. Mais le temps est maintenant venu de quitter mon inaction. Je sais que je suis sévère envers moi-même. Je n'accepte plus la perte de temps. C'en est maladif. Et pourtant...la peur de perdre son temps est une maladie de l'industrialisation, une maladie faisant de l'homme des automates. En me battant pour ne pas perdre mon temps, je me demande parfois si je ne me bats pas pour que la machine en moi domine. D'accord...je m'égare encore...
Alors oui, je suis prêt à l'action. Mais qu'est-ce qu'agir? Je suis trop sévère envers moi-même et c'est vrai. À 26 ans j'enseigne déjà dans un collège, j'écris régulièrement des articles dans le journal régional et parfois certains dans un journal national. Je participe à des congrès, colloques, activités parascolaires. Ne suis-je pas le modèle de l'intellectuel actif? D'un oeil extérieur certainement. Mais en même temps, l'intellectuel actif n'est pas celui qui fait des choses à sa portée. Développer mon talent pour la composition d'article sur l'actualité est quelque chose que j'ai fait - quoique je continue à développer mes habiletés. Mais j'ai maintenant besoin d'un nouveau défi. L'enseignement est un défi incroyable. Je peux influencer des centaines d'étudiants par mes simples paroles. C'est un superbe pouvoir... Mais pourtant, il me semble que c'est insuffisant...
Pourquoi suis-je aussi sévère? Parce que j'ai l'angoisse de l'intellectuel. Cette angoisse est la peur de l'absence de défi. Qu'est-ce qu'un intellectuel sans défi? C'est un être d'une inutilité catastrophique. Et je sens que je réalise (peut-être trop rapidement?) mes défis et ai de la difficulté à les remplacer par de nouveaux.
Des yeux d'un non-intellectuel, je suis peut-être déjà cet être inactif, inutile. Inactif je le suis assurément cet été. «Que fais-tu Daniel cet été?» «Oh! Tu sais, je travaille sur mon mémoire de maîtrise et je prépare mes cours pour l'automne.» Ah bon! Trois mois pour ça!! Qu'est-ce que ça fait dans la vie quelqu'un qui travaille sur son mémoire de maîtrise? Pour un non-intellectuel, la distinction entre l'inactivité complète et l'inactivité manuelle et physique est parfois difficile à juger. Je dois donc me convaincre moi-même que ce que je fais cet été est utile, et je le crois. Je lis beaucoup. J'écris beaucoup. Je développe des idées. Je développe une pensée critique. Je deviens un intellectuel prêt à l'action. Un jour ça rapportera. Un jour je serai l'intellectuel actif qui enseigne de manière compétente (ce que je ne prétends pas encore faire). Un jour je serai un acteur de premier plan de la société québécoise (ce que je suis loin d'être pour le moment). Mais encore une fois, c'est un peu n'importe quoi!
Je serai compétent que je ne m'en rendrai pas compte, car l'angoisse de l'intellectuel m'obligera à me fixer de nouveaux défis plus ambitieux. Et de toute façon, cette façon de penser m'oblige à l'éternelle insatisfaction.
Qu'est-ce que la solution?
- M'entourer d'un réseau qui encourage l'intellectualisme, le valorise, mais sans snobisme vis-à-vis la culture populaire (ouf! ça c'est difficile). En d'autres termes, refuser de devenir un gau-gauche caviar. Devenir un réel progressiste agissant en concordance avec ses idées.
- Refuser toute stagnation intellectuelle en me fixant des objectifs difficilement réalisables - c'est-à-dire m'obligeant à me dépasser - à court et moyen terme.
- Tourner davantage ma pensée vers une praxis. L'action! Par la diffusion des idées!
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