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Professeur de sociologie et d'histoire.

mercredi 5 juillet 2006

Du terrorisme à la paranoïa

Texte publié dans Le Devoir du 28 juin 2006 http://www.ledevoir.com/2006/06/28/112507.html

À quoi sert l’histoire? À quoi sert-elle dans ce monde de l’efficience et de la sur-information, dans ce monde subissant la dictature des nécessités du présent? Certains répondront à juste titre que l’histoire permet d’apprendre à mieux se connaître, comme individu ou collectivité, à travers les différentes interprétations du passé. Elle permet aux historiens, professionnels comme amateurs, d’acquérir des méthodes de travail extrêmement riches et de développer un esprit critique ouvrant la porte à l’exercice lucide de son rôle de citoyen. Certains ajouteront aussi que l’histoire nous permet d’apprendre de nos erreurs! Est-ce un cliché absurde que de présenter les choses de cette façon? Si l’humanité apprend de ses erreurs, comment expliquer qu’il y ait eu une «deuxième» guerre mondiale? Comment expliquer que les abus du capitalisme sauvage dans l’Angleterre du 19e siècle semblent se répéter dans l’Asie du sud-est contemporaine? Comment expliquer qu’après le Rwanda il y ait le Darfour?

C’est le même questionnement qui se pose dans le cas de la guerre au terrorisme amorcée officiellement en Occident le 11 septembre 2001. En ce sens, n’y a-t-il pas des parallèles étroits pouvant être faits entre la crainte du terroriste et celle du communiste aux États-Unis au temps de la Guerre froide? Le mccarthyisme (1950-1953), du nom du sénateur Joseph McCarthy qui l’avait initié, était un programme visant à lutter contre les activités dites antiaméricaines. Toute personne soupçonnée d’entretenir des liens avec le communisme voyait alors sa carrière ou réputation ruinée. Charlie Chaplin était un de ceux qui avaient dû s’exiler en Europe à cette période pour fuir cette «chasse aux sorcières». L’idée de liberté de pensée était complètement bafouée comme il semble que ce soit le cas de manière beaucoup plus importante et à l’échelle de tout l’Occident aujourd’hui. Loin de moi l’idée de vouloir jouer au négationniste comme l’a aussi maladroitement fait le porte-parole de Québec solidaire Amir Khadir il y a quelque temps. L’islamisme existe et il fait réellement de nombreuses victimes. Il prend une ampleur considérable, recrutant de nombreux fanatiques en Arabie Saoudite, en Tchétchénie, en Afghanistan, au Pakistan et maintenant en Irak. Il est très improbable, voire impossible, que les attentats du 11 septembre soient le résultat d’un coup monté étasunien ou occidental. Cependant, il faut davantage se questionner sur les raisons de cette émancipation aussi soudaine de cette forme de radicalisme.

Le terrorisme islamiste se présente d’abord comme une réponse à deux catastrophes meurtrières : la pauvreté et la guerre. Les leaders islamistes profitent de la vulnérabilité de populations entières pour recruter de nouveaux membres, même femmes et enfants. Devant une vie misérable et sans perspective d’avenir, l’islamisme radical, ses projets et sa vision du monde deviennent parfois la lueur d’espoir attendue depuis une vie entière. Un jeune Afghan de mon âge (26 ans) aura connu une guerre contre l’Union soviétique (1979-1989), une prise de pouvoir des Talibans appuyés par les États-Unis (1996) et leur chute cinq années plus tard (sous les bombes étasuniennes cette fois!). Enfin, depuis ce temps, il aura connu l’occupation étrangère. Quant à un jeune Irakien de mon âge, il aura vécu son premier quart de siècle sous le régime autoritaire de Saddam Hussein et aura connu trois guerres s’étalant sur douze années en tout. N’est-ce pas là les conditions rêvées pour créer des berceaux du terrorisme? L’équation est facile à résoudre. Plus les populations se sentent opprimées et plus il devient probable que les effectifs islamistes augmentent. Selon cette logique, les interventions militaires en Afghanistan et en Irak participent beaucoup plus à l’enveniment du problème qu’à son règlement. Selon cette logique, surtout, l’installation d’une paranoïa collective dans nos populations nord-américaines et européennes participent à l’augmentation du racisme, des préjugés et de l’incompréhension généralisée. Toute personne parlant l’arabe devient alors une menace. Tout musulman devient alors une menace. Et, au Canada entre autres, toute intervention militaire dans «ces pays-là» devient légitime.

Évidemment, analyser les erreurs du passé n’immunise pas contre leur récurrence possible. Qui plus est, analyser les erreurs du passé, c’est en faire une interprétation subjective (donc biaisée) et nécessairement critiquable. Cependant, l’histoire peut nous éclairer. L’histoire nous démontre à quel point il fut dangereux par le passé de faire quelque chasse aux sorcières que ce soit. À une certaine époque, des gouvernements ont voulu faire croire que de méchants communistes infiltraient le «monde libre» dans le but de le détruire. Aujourd’hui encore, la liberté et la tolérance caractéristique du Canada sont menacées par les campagnes de peur attirant la paranoïa collective. N’oublions pas que le mot «terrorisme» signifie «engendrer un climat d’insécurité et de terreur» et que d’adopter une attitude de repli face à la différence, c’est s’avouer vaincu face aux terroristes. Sans nier la gravité du problème du terrorisme international, peut-être faudrait-il s’ouvrir les yeux sur ses causes véritables afin d’agir à vraiment le combattre.

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