Voici un texte publié au Nouvelliste au début décembre
Ne l’entend-on pas souvent? Il faut à tout prix contribuer à la croissance de notre région, de notre province, de notre pays. D’accord! Comment pourrait-on être contre ces belles intentions? Cependant, nous arrive-t-il de nous questionner à savoir ce qui se cache derrière cette notion de croissance?
À l’époque de la Guerre froide, il était facile de prendre parti. Le monde était divisé en deux. Au sens pragmatique du terme, c’est vrai, le meilleur système l’a emporté. Croyez-moi, la compétitivité, l’ouverture des marchés, la recherche de l’intérêt personnel et même la croyance mythique en la main invisible ne me font aucunement regretter le système soviétique. Par ses mécanismes de régulation interne, le capitalisme pousse tout individu à rechercher la productivité (dans son travail d’abord, mais dans sa vie personnelle ensuite). Le capitalisme ne peut survivre qu’en état de perpétuelle croissance, d’où cette nécessité de vouloir innover, de vouloir se dépasser, de vouloir être «compétitif» au plan individuel autant qu’au plan collectif. En ce sens, il est un système économique tout simplement formidable.
Mais un système économique, aussi formidable puisse-t-il être, a ses failles et ses lacunes, et ne doit jamais être érigé au rang de dogme. Ne connaît-on pas, au moins depuis Marx, l’amoralité, l’asocialité et l’inhumanité du capitalisme? Je me questionne, car depuis la chute du mur de Berlin, l’humanité semble se résigner au fait qu’il n’y a qu’une vérité, qu’un bon système : le capitalisme, version néolibérale. Elle est là l’erreur qui pourrait causer notre perte.
Tant et aussi longtemps que la croissance économique servait les intérêts de l’humanité, il était possible de voiler les déficiences du capitalisme en prétextant qu’un jour ou l’autre tous allaient profiter des retombées positives du «progrès». Or, ce dont il faut prendre conscience dorénavant, c’est que croissance économique rime avec une destruction effrénée des ressources naturelles, avec la modification irréversible du climat de la planète et, bien sûr, avec la fragilisation de la vie sous toutes ses formes (même humaine).
Mon discours n’est pas écologiste. Au contraire, il est très anthropocentrique. Peu importe, ce que nous ferons de notre planète ces prochaines décennies, je suis convaincu qu’une forme de vie quelconque saura bien se perpétuer. Ce n’est ni le sort des poissons, ni le sort des phoques qui me préoccupent. Ce qui m’interpelle, c’est le sort de l’espèce humaine. Au nom de principes économiques, au nom du dieu de la croissance, l’humanité détruit les conditions mêmes de sa survie.
Parlez de développement durable si vous le voulez, parlez de Kyoto. Ce sont des premiers pas (bien insuffisants) que même nos gouvernements ne sont pas prêts à franchir. L’avenir de l’humanité ne passe pas par un «développement» durable, mais bien par une «décroissance» contrôlée. Mon discours est tout à fait illogique, irrationnel, voire illusoire selon un paradigme économiste. Cependant, l’humanité a franchi la limite de la logique et du raisonnable depuis longtemps. C’est le paradigme de la morale et de l’éthique qui devrait maintenant conditionner nos actions, sans quoi cette décroissance sera soudaine et définitive. Concrètement, en Occident, une décroissance devrait prendre la forme d’une élimination de toute surconsommation. J’irais même plus loin en avançant que même la publicité pernicieuse encourageant la surconsommation devrait être abolie. Vous voulez des suggestions : conserver son automobile quinze années au lieu de quatre, allonger la durée de vie des objets qu’on achète et cesser de suivre les «tendances» (une télévision neuve, une voiture neuve, un réfrigérateur neuf), utiliser le transport en commun, réduire significativement le montant dépensé pour les cadeaux de Noël (pourquoi pas?!).
Dans les années soixante, on rêvait du XXIe siècle comme d’une société du loisir qui privilégierait les relations humaines. Y sommes-nous parvenus? Non. On travaille plus qu’avant pour répondre aux besoins artificiels de notre mode de vie ainsi que pour pouvoir payer les dettes que créent ces besoins. Ensuite, on se fait dire par M. Lucide Bouchard qu’on ne travaille pas assez, qu’on n’est pas suffisamment compétitif. Et on oublie que ce désir d’augmentation de la productivité répond à une logique capitaliste qui ne se soucie guère de l’éboulement que la montée vers le sommet provoque. Pour paraphraser les Cowboys Fringants : on vit dans un «univers où le verbe avoir a pris le dessus sur le verbe être, où tous les gens se font accroire que la possession est la seule quête». Achèterez-vous autant de cadeaux à Noël?
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