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Professeur de sociologie et d'histoire.

mardi 19 mai 2009

Néocolonialisme et Afrique : le cas du Darfour

Un grave conflit armé sévit dans la région soudanaise du Darfour depuis 2003. Ses causes sont multiples : explosion démographique, désertification de régions hautement peuplées, découverte de gisements pétroliers, rivalités ethniques entre le Soudan arabo-musulman et le Soudan noir et chrétien. Les janjawids, des miliciens arabes qui seraient financés par le gouvernement soudanais d’Omar el-Béchir, sont accusés de génocide envers les populations darfouries. Selon l’Organisation des Nations Unies (ONU), 2,7 millions de personnes auraient fui la région et 300 000 seraient mortes depuis le début du conflit. Elle estime que 4,7 des 6 millions d’habitants du Darfour reçoivent présentement de l’aide humanitaire en cette période trouble (ONU, 2009).

Devant cette crise humanitaire, nous sommes en droit de nous questionner sur le rôle de la communauté internationale. Est-ce un devoir d’intervenir pour éviter la reproduction des horreurs du Rwanda en 1994 (à moins qu’il ne soit déjà trop tard)? Comment faire pour qu’une intervention ne soit pas perçue comme une ingérence ou un affront à la souveraineté du Soudan? Enfin, être partenaire économique du gouvernement soudanais équivaut-il à endosser les atrocités commises au Darfour? Cette dernière question nous renvoie à celle du néocolonialisme en Afrique. Avant de revenir au cas spécifique du Soudan, abordons donc les origines du colonialisme.

Une genèse du colonialisme

À la fin du XIXe siècle, le continent africain est le berceau du colonialisme. Lors de la Conférence de Berlin (1883-1885) l’Afrique fut littéralement découpée par les puissances européennes du temps (France, Angleterre, Belgique, Allemagne, Portugal), sans égard pour les réalités ethniques ou culturelles africaines. Le terme «colonialisme» apparaît à cette époque (dans les années 1860 en Angleterre). Il s’entend comme le désir, pour des puissances politiques (ou des Empires), d’étendre leur souveraineté sur les territoires qu’ils occupent. Selon une perspective critique qui ne sera développée qu’au XXe siècle, le colonialisme, c’est aussi le pillage des richesses d’un pays dominé, ainsi que le contrôle de populations indigènes par une administration extérieure.

Si on s’en tient à la définition du terme, la réalité du colonialisme en Afrique précède sa théorisation. Elle existe depuis au moins cinq siècles. Il n’y a qu’à penser au commerce triangulaire qui consistait à déraciner des Africains de leur continent pour les vendre et en faire des esclaves. Cette pratique séculaire est sans doute celle qui aura marqué le plus profondément l’Afrique. «C’est dans la mémoire et la conscience des Africains que cette époque a laissé les stigmates les plus douloureux et les plus durables : ces siècles de mépris, d’humiliation et de souffrances ont fait naître en eux un complexe d’infériorité et ont ancré quelque part au fond de leur cœur un profond sentiment d’injustice» (Kapuscinski, 2000, p. 23-25). Il est aujourd’hui impossible d’effectuer une analyse géopolitique du continent africain sans préalablement référer à cette histoire coloniale. La présence européenne aura laissé des traces indélébiles sur les ressources naturelles disponibles, sur les frontières politiques du continent ainsi que sur l’identité même des peuples.

Il faudra attendre après la Seconde Guerre mondiale pour que l’idéologie colonialiste ne recule. La Charte des Nations Unies (1945) réaffirme alors le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. S’amorcera, à travers le monde, une période connue sous le nom de décolonisation. Les puissances coloniales acceptent ou se résignent – selon le cas – à ce que des pays de ce qu’on appelait alors le Tiers-monde acquièrent leur indépendance.

La Chine et le Darfour

Pourtant, le colonialisme existe toujours aujourd’hui en Afrique. Les richesses de ce continent continuent d’être exploitées sous une forme plus sournoise. Par exemple, par l’utilisation de politiques commerciales, financières et économiques, une domination sur des populations africaines est exercée. La domination n’est donc plus tant politique; elle est économique. Il s’agit de néocolonialisme [1].

Le cas de la Chine au Soudan illustre bien la situation . La Chine vit une croissance économique monstrueuse au XXIe siècle et elle est aujourd’hui le deuxième plus gros consommateur mondial de pétrole derrière les États-Unis. Elle achète 40% des 25 millions de tonnes de pétrole que produit le Soudan annuellement (Herbst, 2008). Des entreprises chinoises construisent présentement un oléoduc de 1400 kilomètres reliant le Bassin de Melut à Port-Soudan, ville dans laquelle elle installe également un terminal pétrolier destiné à l’exportation des hydrocarbures (Samson, 2006). Théoriquement, ce partenariat avec la Chine constitue un avantage certain pour le Soudan qui n’a plus besoin d’emprunter d’argent aux institutions internationales (Hassan, 2009). Mais en pratique, il participe pleinement au mouvement d’exploitation et de pillage des ressources déstabilisant davantage le continent. À l’inverse, une précarisation de la région facilite également l’exploitation de ressources naturelles sans réelle opposition populaire. De nombreuses sources (AI, 2007; Andersson, 2008) démontrent en ce sens que la Chine continue de vendre de l’équipement militaire en dépit de l’embargo sur les armes décrété par l’ONU (2005). Ces armes sont par la suite utilisées par les différentes factions rebelles, accentuant ainsi les risques de violence.

Le gouvernement El-Béchir tire évidemment avantage de son alliance avec le géant chinois en matière diplomatique. Par son poids au Conseil de sécurité des Nations Unies, la Chine freine tout désir de sanctionner le président soudanais quant à la crise du Darfour et l’inaction de son gouvernement, malgré le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) à son endroit. Par le fait même, les Chinois deviennent d’importants complices des troubles qui sévissent au Darfour. Plutôt que de rechercher une solution de paix, le leitmotiv de leur présence au Soudan est purement économique. Nonobstant la situation alarmante des populations en guerre, l’objectif en est un de croissance.

Cette logique économiste entre en contradiction avec l’idéologie humaniste des coopérants internationaux du Darfour, d’où les difficultés de faire quelque avancée que ce soit pour les Organisations non gouvernementales (ONG) sur place [2]. L’histoire de l’ex-otage québécoise Stéphanie Jodoin nous permet de comprendre la gravité de la situation ainsi que l’impossibilité d’œuvrer dans un contexte sécuritaire (Gervais, 2009). À l’intérieur des camps de réfugiés, les armes sont facilement accessibles, accentuant ainsi la violence. Amnistie Internationale (2007) dénonce notamment le risque omniprésent de viols pour les femmes de ces camps.

Il serait réducteur de cibler la Chine comme seule responsable de pratiques néocolonialistes au Soudan. Il est tout aussi essentiel de s’ouvrir les yeux sur les agissements des pays occidentaux. C’est la compagnie étasunienne Chevron qui a découvert les importants gisements pétroliers du Soudan, mais elle a dû quitter le pays en raison de l’hostilité du gouvernement islamiste d’El-Béchir à la fin des années 1980 (Hassan, 2009). Les puissances occidentales accusent donc la Chine des maux qu’elles auraient sans doute elles-mêmes causés s’il y avait eu alliance avec le Soudan de l’époque. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à observer les pratiques douteuses de l’Occident dans les autres pays d’Afrique, notamment celles qui sont dénoncées dans l’ouvrage Noir Canada d’Alain Deneault (2008).

En raison de pratiques néocolonialistes, de grandes régions d’Afrique auront à se relever de siècles d’instabilité. Ultérieurement, il sera impératif de reconstruire l’espoir des jeunes générations qui, en temps de guerre, perdent leurs illusions de bâtir une société plus juste. La solution passe tout d’abord par l’abandon de pratiques colonialistes issues d’une autre époque.


[1] Les programmes d'ajustement structurel du Fonds monétaire international (FMI) ou de la Banque mondiale sont des exemples typiques de pratiques néocolonialistes.

[2] En mars dernier, le gouvernement soudanais décidait d'expulser 13 ONG de son territoire en réponse au mandat d'arrêt délivré par la Cour pénale internationale (CPI) à l'endroit du président El-Béchir.

Références

Amnistie Internationale (2007). Soudan. De nouvelles photographies montrent que l’embargo des Nations Unies sur les armes à destination du Darfour continue d’être violé. . Consulté le 19 mai 2009.

Andersson, H. (2008). China is “fuelling war in Darfur”. BBC News, 13 juillet.

Deneault, A. (2008). Noir Canada : pillage, corruption et criminalité en Afrique. Montréal : Écosociété.

Gervais, L.-M. (2009). Mon amie Stéphanie, ex-otage au Soudan. Le Devoir, 16-17 mai.

Hassan, M. (2009). Darfour : le sang, la faim et le pétrole. Altermonde-Sans-frontières. . Consulté le 20 mai 2009.

Herbst, M. (2008). Oil for China, Guns for Darfur. Business Week, 14 mars.

Kapuscinski, R. (2000). Ébène : Aventures africaines. Paris : Plon.

Organisation des Nations Unies (1945). La Charte des Nations Unies. Adoptée à la Conférence de San Francisco du 26 juin.

Organisation des Nations Unies (2005). Résolution 1591. New York : Conseil de Sécurité des Nations Unies.

Organisation des Nations Unies (2009). Rapport du Secrétaire général sur le déploiement de l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour. New York : Conseil de Sécurité des Nations Unies.

Samson, D. (2006). Chine-Soudan. Diplomatie pétrolière. Radio France internationale, 3 novembre.

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Salut Daniel,

J'aime beaucoup ton article sur le Soudan. Je crois nécessaire en effet de souligner les effets désastreux du néocolonialisme en Afrique. L'on doit avec force dénoncer la Chine tout autant qu'à une certaine époque on dénonçait la France et la Grande-Bretagne. Il faudra un jour que l'on se penche sur ces petits intérêts quotidiens, cultivés dans l'indifférence générale, ici et ailleurs, lesquels autorisent les puissants de ce monde à ce comporter à l'égard des miséreux comme des bêtes féroces puisque, au nom du pétrole, tout est permis, même le crime, même la tuerie, même le génocide.

Amicalement,

Christian