En moins de deux décennies, grâce à Internet, les communications se sont transformées sur la planète entière. Le manque de recul historique ne nous permet pas d’apprécier l’ampleur du phénomène, mais il s’avère déjà nécessaire de parler de «révolution». Depuis l’invention de l’imprimerie par Gutenberg au milieu du XVe siècle, aucune innovation communicationnelle n’a eu autant d’impact sur l’humanité. Internet a bouleversé le monde du travail, le monde de l’éducation, les habitudes culturelles, les relations avec nos proches (et moins proches), les loisirs et même la manière de mener des campagnes électorales (pensons à Obama en 2008).
Depuis la fin des années 1990, l’humanité est définitivement devenue cyberdépendante. Quelle entreprise novatrice pourrait se permettre d’être absente du Web en 2010? Quel milieu de travail pourrait se passer des communications par courriels? C’est sans parler de l’importance des réseaux sociaux virtuels, blogues, webtélés, moteurs de recherche ou forums de discussion.
Qu’en est-il de l’engagement citoyen dans un tel contexte? Internet favorise le réseautage et le partage d’informations. Il permet aisément le recrutement de nouveaux membres à des activités ou causes particulières. Il aide à lier des militants potentiels aux lieux d’engagement correspondant à leurs intérêts et besoins. Il rapproche, parfois dangereusement, mais souvent de manière féconde, culture savante et culture populaire. Internet est donc devenu un outil indispensable pour les partis politiques, les groupes communautaires et les associations de toutes sortes.
En revanche, Internet n’est pas garant d’un engagement et d’une responsabilisation accrus des citoyens. L’adhérent peut se conforter dans son cyberengagement, sans pour autant lier sa vie virtuelle à sa vie réelle. Aussi utile puisse-t-il être, le Web 2.0 (1) permet à quiconque de se donner rapidement bonne conscience, par la signature de pétitions ou l’appui exhibé à des causes nobles et justes. Mais tel un mirage, la pertinence de l’engagement disparaît à la première réactualisation de sa page Facebook.
L’engagement citoyen exige du temps, de l’énergie et du plaisir. Or, l’humanité vit aujourd’hui à l’ère de la «wikiculture» (2). Plus que jamais, l’acquisition de savoirs est associée à un processus dont il faut accélérer la marche. On ingère les informations et les expériences au rythme et à la manière dont on surconsomme les objets matériels : de façon boulimique et stoïque. Le danger est alors que le moi virtuel s’impose jusqu’à écraser une vie réelle en perte de sens.
Ainsi, en dépit des avantages indéniables de la révolution Internet, l’engagement citoyen doit toujours passer par une mobilisation physique, sociale, réelle. Le cyberengagement peut représenter un moyen remarquable de conscientisation et de sensibilisation. Mais il doit demeurer ce qu’il est foncièrement, c’est-à-dire un moyen (de communication efficace) et non une fin. Encore aujourd’hui, c’est par un engagement citoyen concret (politique, communautaire, étudiant ou autre) qu’il est possible d’avoir un impact direct sur sa société, peu importe la cause défendue.
(1) Le Web 2.0 désigne cette nouvelle tendance (depuis 2003-2004) à ce que les sites Internet soient plus interactifs (réseaux sociaux, blogues, Wiki, protocole RSS).
(2) Wiki signifie «rapide» à Hawaï. C’est du moins l’information trouvée «rapidement» et sans contre-vérification grâce au site Wikipédia.
Texte publié au Devoir le 19 mars 2010 et à La Presse le 20 mars 2010.
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