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Professeur de sociologie et d'histoire.

mardi 19 avril 2011

Surveiller et punir de Foucault

L’étude de l’exercice du pouvoir permet de bien appréhender la morale dominante à chaque époque. Ce compte rendu de lecture se veut une présentation de l’ouvrage Surveiller et punir. L’auteur, Michel Foucault, y traite de la formation d’une société de surveillance. En utilisant une perspective historique, il y remet en question le système carcéral de son époque. À cet effet, le contexte d’écriture de l’ouvrage s’avère significatif. Surveiller et punir est publié en 1975, peu après que de nombreuses révoltes aient eu lieu dans les prisons françaises. En effectuant une généalogie de la morale moderne, Michel Foucault expose les transformations du système carcéral du Moyen Âge à aujourd’hui. 

La notion de pouvoir est centrale dans l’œuvre de Foucault. Outre le cas des prisons, ce dernier l’aborde notamment à partir de ses travaux sur la folie, sur la sexualité et sur la gouvernementalité. Dans le cadre de cet ouvrage, Foucault utilise une approche à la fois historique et philosophique. Il utilise de nombreuses sources historiques (écrites et iconographiques) pour rendre compte des transformations des pénalités du XVIe siècle à nos jours. Par contre, son propos vise d’abord à illustrer le changement de paradigme (d’épistémè pour utiliser un concept foucaldien) qui s’effectue sur le plan de la morale. Le livre se divise en quatre sections qui correspondent à quatre grands modes de sanction : le supplice, la punition, la discipline et la prison.
Pour amorcer l’ouvrage, Foucault aborde le cas du supplice de Robert-François Damiens en 1757. Ce cas lui permet de faire la distinction entre le supplice et l’emploi du temps sévère qui, tous deux, permettent de punir un type différent de délinquants. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le supplice agit comme une mise en scène permettant de symboliser la vengeance du prince face à son ennemi. L’infraction commise symbolisait en quelque sorte une attaque politique contre le pouvoir du souverain de faire les lois. Le supplice est alors une technique qui, de manière graduée, permet de rétablir la souveraineté brimée du monarque. «Un degré atteint dans la démonstration [de culpabilité] formait déjà un degré de culpabilité et impliquait par conséquent un degré de punition» (p. 52-53). Mais «la punition a cessé peu à peu d’être une scène. Et tout ce qu’elle pouvait emporter de spectacle se trouvera désormais affecté d’un indice négatif» (p. 15). Ce revirement mène, dans certains cas, le peuple à vouloir se révolter contre le bourreau, symbole de l’ordre politique en place. Dorénavant, l’objectif est moins d’atteindre le corps que l’âme dans le châtiment.
Le supplice devenant intolérable, il s’avère essentiel de trouver une nouvelle manière de châtier. Au long du XVIIIe siècle, il semble y avoir un alourdissement de la justice lié intrinsèquement à la hausse démographique ainsi qu’à une certaine paupérisation. Aussi, le développement du système capitaliste (et donc de la notion de propriété) crée également une dichotomie entre l’illégalisme des biens et l’illégalisme des droits. «La misère des peuples et la corruption des mœurs ont multiplié les crimes et les coupables» (p. 92). Ce contexte mène à une réforme de la justice par laquelle le pouvoir de juger ne correspondrait plus à l’image du prince exerçant son pouvoir. Il s’agirait de rendre plus universel le pouvoir de juger, qu’il «ne relève plus des privilèges multiples, discontinus, contradictoires parfois de la souveraineté, mais des effets continûment distribués de la puissance publique» (p. 97). Les réformes judiciaires mènent alors à proposer une gestion différentielle des illégalismes plutôt que de chercher leur suppression totale. Foucault réfère à Le Peletier (p. 125) et à sa présentation des peines analogiques. Le souhait de ce dernier est de créer un rapport exact entre la nature du délit et la nature de la punition. Pourtant, au début du XIXe siècle, c’est plutôt le grand appareil uniforme des prisons qui semble avoir substitué au théâtre punitif des siècles précédents. Le pouvoir disparaît derrière une architecture carcérale. D’ailleurs, Foucault explique la popularité de la détention comme forme de châtiment en référant à des modèles d’emprisonnement punitif qui datent de la fin du XVIe siècle (le Rasphuis d’Amsterdam par exemple). Ceux-ci semblent posséder une finalité réformatrice. Ils se tournent vers l’avenir, c’est-à-dire vers la transformation potentielle du criminel.
C’est donc par ce désir de réforme de l’humain que se présente la notion de discipline. «Le corps humain entre dans une machinerie de pouvoir qui le fouille, le désarticule et le recompose» (p. 162). Le contrôle de l’espace et du temps (pour les soldats, les prisonniers ou même les écoliers) oblige à se conformer aux normes en place. Le «bon dressement» est assuré par la surveillance hiérarchique (la contrainte par l’impression d’être constamment surveillé), par la sanction normalisatrice (la normalisation qui mène à l’homogénéité) ainsi que par l’examen (la présence d’un pouvoir qui voit tout). Ainsi, l’ouvrage de Foucault présente la naissance de la prison comme l’avènement d’une institution totalitaire qui contrôle toutes les facettes de l’existence. Cela est illustré par la figure architecturale du Panopticon de Jeremy Bentham. «Celui qui est soumis à un champ de visibilité, et qui le sait, reprend à son compte les contraintes de pouvoir; il les fait jouer spontanément sur lui-même» (p. 236).
La dernière section de l’ouvrage traite des prisons, soit l’institution qui se présente comme l’unique modèle de châtiment à partir de la mise en place du Code pénal en 1810. Foucault décrit les prisons comme un «appareil disciplinaire exhaustif» (p. 273), c’est-à-dire comme une institution qui impose un pouvoir totalitaire sur l’individu, et ce par trois principes : l’isolement, le travail, le contrôle de la durée des peines. Pourtant, plutôt que de réformer les individus, il semble que les prisons contribuent plutôt à la reproduction du crime comme en font foi les statistiques présentées par Foucault au sujet des nombreuses récidives (p. 309). Le passage des supplices aux peines de prison est «le passage d’un art de punir à un autre» (p. 299). C’est donc le passage à des peines qui favorisent la création de délinquants.
Pour conclure, à l’instar de Raymond Boudon, il y aurait lieu de se questionner au sujet d’une conception de la prison comme créatrice de criminalité. Bien qu’il soit possible qu’elle favorise la récidive, il ne faut pas sous-estimer son caractère dissuasif qui empêche que certains crimes ne soient commis. Par ailleurs, il faut également apporter une distinction entre totalitarisme et démocratie. La figure panoptique applicable aux prisons de Bentham peut difficilement s’appliquer aux rapports de pouvoir d’une société démocratique, sauf dans une réalité qui s’approcherait d’un univers orwellien. Quoi qu’il en soit, l’ouvrage de Foucault demeure central dans la compréhension des transformations de la notion de pouvoir lors des derniers siècles. Il soulève également des questions importantes au sujet des prisons comme étant une soi-disant façon humaine de punir.

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Thank you for the work you have put into this article, it helps clear up some questions I had.