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Professeur de sociologie et d'histoire.

dimanche 22 janvier 2012

Le rôle des médias dans le printemps arabe

Il y a plus d’un an que les révoltes du monde arabe se sont amorcées. Des peuples se sont soulevés pour mettre fin aux régimes dictatoriaux qui les opprimaient depuis des décennies (Tunisie, Égypte, Libye). D’autres poursuivent toujours la lutte à ce jour (pensons à la Syrie).

Dans ce contexte, il s’avère bien difficile, encore aujourd’hui, de comprendre la soudaineté et la simultanéité de ces révoltes. Comme facteur explicatif, plusieurs pointent le rôle des médias.


En mai dernier, j’écrivais moi-même (dans un texte intitulé «Les gazouillis du printemps arabe») que le développement du web 2.0 avait favorisé la diffusion d’idées révolutionnaires. Il aurait joué le même rôle que la première révolution Internet dans la diffusion des idées zapatistes en 1994. Ceci étant, une révolution technologique n’est jamais la mère d’une révolution politique. Elle peut servir à l’attiser, à la faire connaître; mais elle peut également servir à la discréditer et à l’écraser.

En effet, le web 2.0 peut être utilisé par les protestataires aussi bien que par les défenseurs des régimes en place. Il en est de même pour les médias traditionnels, à l’instar de la chaîne de télévision qatarie Al-Jazeera. Depuis sa création en 1996, Al-Jazeera joue un rôle central de diffusion de l’information dans le monde arabe. Il agit comme contrepoids à l’information traditionnellement contrôlée par les médias saoudiens. Utilisant la recette des grands médias occidentaux (information continue), cette chaîne se positionne souvent comme leur alternative. Son caractère partial est d’ailleurs dénoncé à bien des égards. En Occident, on l’accuse d’agir comme cheval de Troie à l’instauration de régimes islamistes; dans le monde arabe, on l’accuse de partialité, notamment chez les partisans du régime syrien de Bachir al-Assad. Quoi qu’il en soit, par son caractère panarabe, Al-Jazeera s’est assurément positionné comme acteur-clé dans la diffusion des idées au cœur des révoltes du début de l’année 2011.

Pourtant, il semble que ce «quatrième pouvoir» médiatique ne réussisse à jouer le même rôle dans chacun des pays arabes aux prises avec des régimes dictatoriaux. D’aucuns parlent d’«apartheid médiatique» en référence au mutisme des médias contrôlés par les pétrodollars en Arabie Saoudite ou dans les pays du Golfe Persique. «Ainsi, les manifestants bahreïnis se plaignent amèrement que les médias arabes ne s'intéressent pas à eux alors qu'ils se battent pour les mêmes raisons qu'avant eux les Tunisiens, les Égyptiens et les Libyens» . Conséquemment, il y a lieu de croire que l’influence géopolitique de chaque régime dictatorial influerait directement sur le contenu de l’information diffusé.

L’intervention occidentale ne serait pas étrangère à ce contrôle médiatique. C’est du moins la vision de Noam Chomsky. Selon lui, les États-Unis défendraient actuellement des régimes dictatoriaux très puissants, craignant l’instauration de véritables démocraties dans cette région du globe. Dans un monde arabe où une majorité de la population considère les États-Unis et Israël comme les principales menaces à la paix mondiale, l’apparition de régimes démocratiques signifierait indéniablement la fragilisation du contrôle étasunien sur la région. En revanche, des dictateurs amis de l’Occident assurent une stabilité économique. «Vous renversez un gouvernement parlementaire, vous y installez une dictature, vous envahissez un pays, et vous tuez 20 000 personnes, vous envahissez l’Irak et vous tuez des centaines de milliers de personnes – tout ça, c’est pour apporter la stabilité. L’instabilité, c’est quand quelqu’un vient se mettre en travers de votre chemin» .

Là où les soulèvements arabes ont été les plus vifs, on a assisté à un prodigieux revirement de la position de certains gouvernements nord-américains et européens. L’ami Moubarak (rappelons-nous du discours d’Obama au Caire) devait tout à coup être renversé. Même chose pour Mouammar Khadafi en Libye, et maintenant pour le fragile régime d’al-Assad en Syrie. De prime abord, ce qui compte, c’est de rapidement récupérer la révolte et de l’orienter – par le biais des médias notamment – à des fins purement stratégiques.

En quelques jours ou quelques semaines, les grands médias peuvent transformer l’opinion publique et orienter insidieusement des débats de société majeurs. Peu importe l’orientation idéologique, les tendances partiales et les traitements partiels de l’information deviennent des menaces persistantes à l’instauration de régimes démocratiques. Pourtant, pour les populations arabes, dans cette période transitoire, il s’avère nécessaire de pouvoir bénéficier d’une information riche, transparente et diversifiée. Le passage du printemps révolutionnaire à l’été démocratique en dépend.

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