Le 15 décembre prochain, le deuxième tour des élections présidentielles aura lieu au Chili. L’ancienne présidente et candidate socialiste Michelle Bachelet est la grande favorite pour remporter l’élection contre son adversaire de droite Evelyn Matthei.
Le Chili est un pays d’Amérique du Sud qui affronte d’immenses défis pour les prochaines années. Sous le régime de Augusto Pinochet (1973-1990), il a constitué le laboratoire pour la mise en place de politiques néolibérales (inspirées par l’économiste Milton Friedman). Concrètement, l’État devait s’effacer au profit du secteur privé dans les secteurs de l’éducation, de la santé et des services sociaux. Le syndicat national y était également interdit. D’ailleurs, l’opposition au régime, sous toutes ses formes, était réprimée. Pour preuve, des milliers de personnes sont disparues ou ont été assassinées, comme en fait foi le rapport Valech sur l’emprisonnement et la torture (2004). Aujourd’hui encore, le pays soigne de nombreuses blessures et traumatismes causés par la dictature.
Ironiquement, les deux femmes candidates au second tour des élections de 2013 étaient amies dans leur enfance. Leurs pères occupaient des postes de généraux sur la même base militaire. Le coup d’État de septembre 1973 les a séparées. Pendant que le père de Matthei a suivi Pinochet, la famille de Bachelet est restée fidèle à Salvador Allende. Pour cette prise de position, le père de Bachelet fut torturé à mort par le régime Pinochet.
La
présente campagne électorale rappelle donc à quel point les familles
chiliennes sont toujours marquées par cette époque. Elle rappelle les
défis du Chili post-Pinochet. Dans cette optique, Bachelet propose
notamment que la Constitution de 1980 soit révisée. Elle souhaite aussi
une modification des politiques fiscales du pays, afin que l’État se
réengage en matière sociale, particulièrement dans le domaine de
l’éducation. Cela s’explique par les revendications incessantes de la
société civile lors des dernières années qui réclament une réforme en
profondeur de l’éducation chilienne. Le mouvement étudiant chilien
(2006, 2008 et 2011) demande la fin des politiques néolibérales héritées
de Pinochet et le réinvestissement de l’État pour assurer
l’accessibilité à une meilleure éducation supérieure. La mainmise du
privé sur l’éducation y est décriée. Dans l’éventualité d’une victoire
de Bachelet le 15 décembre, les pressions pour engager de telles
réformes seront fortes. D’ailleurs, à seulement 25 ans, Camila Vallejo,
leader du mouvement étudiant de 2011, a été élu députée le 17 novembre
dernier.
En raison des assassinats et des disparitions vécus au Chili, il faut être prudent avec le jeu des comparaisons. Mais force est de reconnaître qu’une violence économique similaire s’exerce dans le monde entier. Les inégalités socioéconomiques s’accroissent sans cesse depuis le début des années 1980. Et comme l’ont récemment démontré moult auteurs (Kempf, Stiglitz, Ziegler) la sphère politique perd de son pouvoir, de son influence – et malheureusement de sa crédibilité et de sa légitimité – au profit d’oligarchies puissantes, c’est-à-dire de multinationales influentes.
Dans un tel contexte, il ne faut donc pas se surprendre de l’existence d’un cynisme chez certains, mais aussi d’un sentiment de révolte chez d’autres. D’ailleurs, ces dernières années, la dénonciation des inégalités prend une pluralité de formes, selon les contextes : les Indignados en Espagne (2011), Occupy Wall Street (2011), le Printemps québécois (2012), la révolte sociale brésilienne (2013), l’occupation de la place Taksim en Turquie (2013). À cette liste, il faut ajouter la crise étudiante chilienne.
En
1973, le Chili a servi de laboratoire aux politiques néolibérales.
Quatre décennies plus tard, à l’aube des élections, souhaitons qu’il
puisse à nouveau servir d’exemple, mais cette fois dans l’établissement
d’un système plus égalitaire.
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