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jeudi 27 mars 2014

Requiem pour l'espèce humaine (compte rendu de lecture)

 
HAMILTON, Clive, Requiem pour l’espèce humaine, Paris, Les Presses Sciences Po, 2013, 265 p.
Les Presses Sciences Po ont publié à la fin de l’année 2013 l’ouvrage Requiem pour l’espèce humaine de l’Australien Clive Hamilton. Ce dernier est professeur au Centre for Applied Philosophy and Public Ethics à l’Université Charles-Sturt. Il est membre du Climate Change Authority, une agence dont le rôle est de conseiller le gouvernement australien en matière de changements climatiques. En 2009, il a aussi été candidat des Verts lors d’une élection fédérale australienne.

Avant d’être connu des francophones, Hamilton avait publié quelques ouvrages dans sa langue maternelle sur la croissance économique et la surconsommation (Growth Fetish, 2003; Affluenza: When Too Much is Never Enough, 2005). Par Requiem for a Species (publié en anglais chez Allen & Unwin, en 2010), il poursuivait donc sur ce thème, en établissant clairement les impacts de cette croissance sur les changements climatiques. Depuis, il a également publié Earthmaster: Playing God with the Climate (2013) qui a aussitôt été traduit et publié au Seuil sous le titre Les apprentis sorciers du climat.
Dans Requiem pour l’espèce humaine, l’auteur nous appelle à faire face à la réalité du changement climatique, cessant l’attitude de déni. La quatrième de couverture annonce d’ailleurs clairement le propos : «nous avons ignoré ou accueilli avec lassitude les signaux d’alarme des climatologues, refusé de remettre en cause le dogme de la croissance et l’obsession consumériste. Nous devons maintenant en mesurer les conséquences pour le XXIe siècle et agir afin de tirer le meilleur parti de l’inéluctable».
La préface présente le ton et les objectifs du livre. Hamilton en poursuit trois. Tout d’abord, il souhaite présenter les faits et faire la démonstration que l’échéance pour éviter les perturbations majeures du climat est aujourd’hui atteinte. Ensuite, il entend expliquer pourquoi l’humanité a échoué à réagir à la menace du réchauffement climatique. Enfin, il espère conscientiser au sujet des implications de ce grand bouleversement climatique qui va se produire au cours du siècle.  Les huit chapitres de l’ouvrage répondent successivement à ces objectifs, de façon très bien documentée. À cet effet, Hamilton puise à la fois dans des sources scientifiques et philosophiques pour construire son argumentaire. D’ailleurs, l’ouvrage offre un index à la fin qui permet de se référer facilement aux nombreux auteurs et concepts dont il est fait mention.
Le premier chapitre présente les faits scientifiques permettant de croire que la situation est dramatique. L’auteur souligne que, depuis 2005, «plusieurs scientifiques ont publié des articles montrant l’existence probable de seuils au-delà desquels le processus de réchauffement était renforcé par des mécanismes de rétroaction positive» (p. 13). Il présente notamment la position des experts du GIEC qui, selon toute vraisemblance, malgré son caractère dramatique, demeure conservatrice sur le plan de ses conclusions.
Dans les deuxième et troisième chapitres, l’auteur lance une charge à l’endroit de ceux pour qui la croissance représente la solution à tous les maux. Hamilton réfère à Michel Foucault quand il affirme que «nous intériorisons le discours [de la croissance], de sorte que nous nous mettons à exprimer les intérêts du système et à nous gouverner selon ses règles» (p. 64). La croissance constitue le produit de trois siècles d’industrialisation. Sortir de ce paradigme serait donc l’équivalent d’une négation de la modernité, associée intrinsèquement au consumérisme. Les individus seraient en quelque sorte aux prises avec une culture de «l’impulsivité», surtout depuis les années 1990. Tout repose sur la consommation, dans une perspective à très court terme, mettant ainsi en péril l’avenir de nos sociétés (obsession du renouvellement permanent, obsolescence programmée, gaspillage, consumérisme vert).
Le quatrième chapitre constitue une attaque en règle contre les sceptiques du climat. Inspiré du psychologue Leon Festinger, Hamilton s’intéresse à la théorie de la dissonance cognitive, c’est-à-dire au «sentiment de malaise dont nous sommes saisis lorsque nous commençons à comprendre que ce que nous tenions pour une certitude est contredit par les faits» (p. 114). À l’instar de membres d’une secte bernés par les prophéties d’un illuminé, les climato-sceptiques chercheraient tous les moyens de remettre en cause ou de tout simplement nier les données scientifiques. L’auteur trace la genèse du climato-scepticisme et fait un portrait percutant des différentes façons qu’il se déploie. Subséquemment, au cinquième chapitre, il adopte une posture plus philosophique, traitant de ce qu’il qualifie de «divorce avec la nature». Il souhaite mieux comprendre ce qui a mené l’humanité à rompre avec la nature (notamment avec l’essor de la pensée mécaniste), souhaitant ainsi réfléchir à des pistes pour renouer avec elle.
À plusieurs reprises dans l’ouvrage, Hamilton explique les raisons qui lui permettent d’affirmer que l’humanité a dépassé la limite et qu’il serait maintenant trop tard pour éviter une catastrophe climatique. À ses yeux, Copenhague 2009 constituait le sommet de la dernière chance pour les dirigeants de la planète, d’où la nécessité de maintenant se résigner. Nous y reviendrons en abordant le huitième chapitre. Auparavant, dans le sixième chapitre, il explore tout de même diverses issues proposées par des scientifiques, des politiciens ou des lobbyistes. La capture du carbone est irréaliste à court terme et ses coûts sont tout simplement astronomiques. Les énergies alternatives (vent, soleil, atome) doivent être envisagées, mais leur implantation ne pourra se faire que de manière progressive et ne règlerait en rien le paradigme de la croissance ininterrompue. Enfin, Hamilton traite de la géo-ingénierie. Celle-ci pourrait se matérialiser par la transformation de la composition chimique de l’atmosphère dans le but de ralentir le réchauffement du climat. Au dire de l’auteur, cette manipulation du climat par d’apprentis sorciers représenterait non seulement un procédé incertain, mais complètement dangereux. Face à un tel scénario, Hamilton nous invite plutôt à la lucidité, donc à envisager les scénarios les plus probables quant au réchauffement prochain du climat. C’est le propos du septième chapitre.
Le huitième et dernier chapitre est le plus percutant et le plus important de l’ouvrage. Il s’amorce par un constat. «C’est la fin du progrès qui nous a rattrapés» (p. 233). «La science et la technologie ne seront bientôt plus qu’un moyen de nous sauver des ravages provoqués par notre orgueil insensé» (p. 234). Hamilton traite du deuil que l’humanité doit vivre face à son propre avenir. Il faudra passer par des étapes de choc, de déni, de colère, d’anxiété, de regret, de dépression et de sensation de vide. Conséquemment, nous risquons de développer des mécanismes de défense pour éviter ces émotions, qu’il s’agisse de l’apathie, du cynisme et de l’humour noir ou de l’inertie. Par son discours confrontant et lucide, Hamilton marque un tournant dans le discours écologiste. Il évite à la fois de tomber dans deux types d’illusions : celle des négationnistes du climat qui refusent tout simplement de voir la réalité en face, mais aussi celle des écologistes qui, candidement, croient toujours à un possible virage à 180 degrés. Devant un constat d’échec, il serait également facile de sombrer dans un cynisme mortifère. C’est d’ailleurs ce que font beaucoup d’écologistes qui, plutôt que de déprimer, ironisent. Par opposition à cette attitude, Hamilton plaide plutôt en faveur d’une nouvelle quête de sens. Il souhaite que l’humanité traverse cette période avec courage et qu’elle réfléchisse déjà à «reconstruire l’avenir», comme l’annonce le titre de ce dernier chapitre. «Désespérer, accepter, agir. Voilà les trois étapes par lesquelles nous devons passer» (p. 249).
À la lumière de la lecture de Requiem pour l’espèce humaine, il est clair que Hamilton représente un auteur incontournable dans la question des changements climatiques. Il faut donc se réjouir du fait qu’il soit maintenant disponible en français. Soulignons également une certaine cohérence – qui fait sourire – par le fait que l’impression du livre ait été certifié par Imprim’vert, c’est-à-dire qu’il respecte des normes environnementales strictes.
En contrepartie, et c’est le propre d’une perspective qui se veut lucide en matière environnementale, Hamilton nous laisse avec plus de questions que de réponses quant à cet avenir à reconstruire. Il rejette d’emblée la tentation – qui se présentera tôt ou tard – de sombrer dans un fascisme vert, c’est-à-dire un système où des élites dites éclairées imposeraient une vision écologiste radicale. Au contraire, Hamilton prône la mise en place d’une «vraie démocratie» (p. 248) comme seul moyen d’éviter que les riches et puissants de la planète tirent profit de la crise. Mais quel est cette «vraie démocratie»? Pour y répondre, Hamilton poursuit ainsi : «nous avons des obligations morales autres que l’obéissance aux lois. Nous devons obéir à une loi supérieure même s’il nous faut accepter les conséquences d’une transgression des lois constitutionnelles» (p. 248-249). En d’autres mots, il appelle à la désobéissance civile. Une désobéissance dont les formes restent sans doute elles-mêmes à définir.

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