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Professeur de sociologie et d'histoire.

mardi 7 octobre 2014

L'école comme business



L’élection récente du gouvernement de Philippe Couillard marque un dangereux tournant dans le rôle joué par l’État dans les services publics. Une vague de réformes sans précédent semble s’entamer et chaque programme de chaque ministère est réévalué. A priori, tant mieux si des ajustements peuvent être apportés à certains programmes trop coûteux pour les contribuables. Cependant, au-delà des économies potentielles, il semble que l’on assiste à une énorme campagne de communication qui vise d’abord à discréditer le rôle de l’État. Selon une rhétorique aberrante qu’adopte également notre gouvernement fédéral depuis une décennie, un État désengagé serait un État plus efficace. 


Le problème, c’est que plusieurs secteurs financés par les deniers publics ne peuvent se réduire à un raisonnement comptable. C’est le cas de la culture, de la solidarité internationale ou de l’éducation. Pourtant, depuis le retour des libéraux au pouvoir, on semble faire fi de cette logique. L’éducation se pense désormais à très court terme : quelques «piastres» sauvées par les coupures des Directions régionales du ministère de l’Éducation (sans planification préalable); quelques déclarations douteuses du ministre Bolduc sur la place des livres à l’école ou sur la nécessité d’évaluer les enseignants; une rumeur de réforme tous azimuts pour sauver un milliard de dollars. Clairement, le gouvernement Couillard semble restreindre sa vision à des impératifs budgétaires. Quant à ce qu’on souhaite pour le Québec de 2020 ou 2030, il ne s’agit assurément pas de questions préoccupantes au Conseil des ministres.

Les conséquences d’une telle dérive

La situation s’aggrave depuis plusieurs années, de manière tellement graduelle qu’il s’avère difficile de le percevoir, mais un changement de culture s’est bel et bien imposé. Les écoles publiques peuvent maintenant recruter des élèves hors de leur secteur géographique, accentuant ainsi la concurrence. Les établissements sont évalués selon des critères de performance et des palmarès. Chaque école développe des programmes et des profils particuliers pour répondre à l’approche client, sans être soumise à une orientation régionale des besoins en éducation. Après tout, croit-on, le marché viendra sans doute autoréguler l’offre. 

L’école n’est pourtant pas une entreprise. Mais en raison de ce désengagement progressif de l’État, un discours entrepreneurial contagieux envahit nos établissements. Des administrations scolaires, publiques comme privées, nous parlent de «clientèle étudiante», de «positionnement stratégique», de «concurrence» ou de «saine gestion». Pourquoi? Parce que l’école se gère maintenant comme une business, c’est-à-dire un trimestre à la fois. Désormais, l’éducation ne symbolise plus le regard d’une société sur son avenir; mais elle devient plutôt le regard de l’entreprise privée sur ses propres besoins. L’école se réduit alors à son rôle de former la main-d’œuvre de demain.  

Un tel utilitarisme pousse les institutions scolaires (tous niveaux confondus) à se vendre et à entrer dans un jeu de séduction malsain – voire malaisant – afin de s’arracher les «clients» potentiels. Tout cela s’appelle du marketing scolaire! Et la survie de plusieurs écoles en dépend. Les directions sont prisonnières de cette réalité entrepreneuriale. En se débattant pour survivre, elles s’enfoncent et s’éloignent de leur mission pédagogique. Des sommes importantes sont alors dépensées en publicité et en campagnes de communication pour que des écoles se concurrencent et se cannibalisent. Évidemment, c’est davantage le cas lors de périodes de décroissance démographique comme celle vécue en ce moment. En somme, un système scolaire sous-financé et sans vision mène inévitablement les directions d’écoles à transformer leur mission pédagogique en mission financière. Au sens pragmatique du terme, difficile de leur en vouloir. Après tout, aucun élan pédagogique ne peut se matérialiser  sans un sou. 

Soyons vigilants face aux politiques d’austérité du gouvernement Couillard. Au nom de l’assainissement des finances publiques, beaucoup de dommages peuvent être faits à l’intérieur du prochain mandat. En éducation, l’État a le devoir de jouer un rôle fort pour donner les moyens aux écoles de se concentrer sur leur mission primaire, pour leur donner les capacités d’innover et de préparer l’avenir du Québec.

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