L’élection
récente du gouvernement de Philippe Couillard marque un dangereux tournant dans
le rôle joué par l’État dans les services publics. Une vague de réformes sans
précédent semble s’entamer et chaque programme de chaque ministère est
réévalué. A priori, tant mieux si des
ajustements peuvent être apportés à certains programmes trop coûteux pour les
contribuables. Cependant, au-delà des économies potentielles, il semble que
l’on assiste à une énorme campagne de communication qui vise d’abord à
discréditer le rôle de l’État. Selon une rhétorique aberrante qu’adopte
également notre gouvernement fédéral depuis une décennie, un État désengagé
serait un État plus efficace.
Le
problème, c’est que plusieurs secteurs financés par les deniers publics ne
peuvent se réduire à un raisonnement comptable. C’est le cas de la culture, de
la solidarité internationale ou de l’éducation. Pourtant, depuis le retour des
libéraux au pouvoir, on semble faire fi de cette logique. L’éducation se pense
désormais à très court terme : quelques «piastres» sauvées par les
coupures des Directions régionales du ministère de l’Éducation (sans
planification préalable); quelques déclarations douteuses du ministre Bolduc
sur la place des livres à l’école ou sur la nécessité d’évaluer les
enseignants; une rumeur de réforme tous azimuts pour sauver un milliard de
dollars. Clairement, le gouvernement Couillard semble restreindre sa vision à
des impératifs budgétaires. Quant à ce qu’on souhaite pour le Québec de 2020 ou
2030, il ne s’agit assurément pas de questions préoccupantes au Conseil des
ministres.
Les conséquences d’une telle dérive
La
situation s’aggrave depuis plusieurs années, de manière tellement graduelle
qu’il s’avère difficile de le percevoir, mais un changement de culture s’est
bel et bien imposé. Les écoles publiques peuvent maintenant recruter des élèves
hors de leur secteur géographique, accentuant ainsi la concurrence. Les
établissements sont évalués selon des critères de performance et des palmarès.
Chaque école développe des programmes et des profils particuliers pour répondre
à l’approche client, sans être soumise à une orientation
régionale des besoins en éducation. Après tout, croit-on, le marché viendra
sans doute autoréguler l’offre.
L’école
n’est pourtant pas une entreprise. Mais en raison de ce désengagement progressif
de l’État, un discours entrepreneurial contagieux envahit nos établissements. Des
administrations scolaires, publiques comme privées, nous parlent de «clientèle
étudiante», de «positionnement stratégique», de «concurrence» ou de «saine
gestion». Pourquoi? Parce que l’école se gère maintenant comme une business, c’est-à-dire un trimestre à la
fois. Désormais, l’éducation ne symbolise plus le regard d’une société sur son
avenir; mais elle devient plutôt le regard de l’entreprise privée sur ses
propres besoins. L’école se réduit alors à son rôle de former la main-d’œuvre
de demain.
Un
tel utilitarisme pousse les institutions scolaires (tous niveaux confondus) à
se vendre et à entrer dans un jeu de séduction malsain – voire malaisant – afin
de s’arracher les «clients» potentiels. Tout cela s’appelle du marketing
scolaire! Et la survie de plusieurs écoles en dépend. Les directions sont
prisonnières de cette réalité entrepreneuriale. En se débattant pour survivre,
elles s’enfoncent et s’éloignent de leur mission pédagogique. Des sommes
importantes sont alors dépensées en publicité et en campagnes de communication
pour que des écoles se concurrencent et se cannibalisent. Évidemment, c’est davantage
le cas lors de périodes de décroissance démographique comme celle vécue en ce
moment. En somme, un système scolaire sous-financé et sans vision mène
inévitablement les directions d’écoles à transformer leur mission pédagogique
en mission financière. Au sens pragmatique du terme, difficile de leur en
vouloir. Après tout, aucun élan pédagogique ne peut se matérialiser sans un sou.
Soyons
vigilants face aux politiques d’austérité du gouvernement Couillard. Au nom de
l’assainissement des finances publiques, beaucoup de dommages peuvent être
faits à l’intérieur du prochain mandat. En éducation, l’État a le devoir de
jouer un rôle fort pour donner les moyens aux écoles de se concentrer sur leur
mission primaire, pour leur donner les capacités d’innover et de préparer
l’avenir du Québec.
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