Deux
premiers ministres canadiens dans l’histoire ont été élus quatre mandats
consécutifs : John A. Macdonald et Wilfrid Laurier. Stephen Harper
pourrait devenir le troisième si les Canadiens le choisissent le 19 octobre
prochain. Comment expliquer que les conservateurs soient sortis victorieux de
l’exigeant test électoral à trois reprises en moins de 6 ans (2006, 2008, 2011).
L’éclatement du scandale des commandites (création de la commission Gomery en
2004) et son corolaire qu’est la déconfiture du Parti libéral du Canada après
le départ de Jean Chrétien permirent à la nouvelle formation conservatrice
d’augmenter significativement ses appuis. Mais cela n’explique pas tout. Politiquement,
les conservateurs ont été habiles. Métaphoriquement, Harper semble s’être positionné
en bon père de famille. De famille traditionnelle et conservatrice, bien sûr! En pourvoyeur. En figure autoritaire.
En personnage rassurant.
Pourvoyeur.
Le bon père de famille s’assure que son foyer puisse subsister en période de vaches
maigres. Les conservateurs se targuent d’avoir traversé deux périodes
récessionnistes, dont la crise mondiale de 2008-2009. En effet, le Canada se
positionne aujourd’hui parmi les pays les plus prospères au monde. On annonce même
des surplus dans le budget fédéral pour l’année en cours (1,9 milliard de
dollars). Or, depuis une décennie, le Canada a orienté des pans complets de son
économie vers l’exploitation pétrolière, une ressource du siècle dernier. Il a
déréglementé les banques, favorisé les classes supérieures (pensons au
rehaussement du plafond de cotisation au CÉLI), attaqué les crédits des fonds
de travailleurs. En réalité, si l’économie canadienne se porte bien, les causes
sont plus structurelles que conjoncturelles. Cela est beaucoup plus attribuable
à la diversité économique, aux normes salariales enviables des Canadiens et au
rôle soutenu de l’État pour rétablir les inégalités flagrantes. Rien de très
récent donc.
Autoritaire.
Le bon père de famille sait mettre au pas les récalcitrants. Dans les dix
dernières années, plusieurs y ont passé : les journalistes dont l’accès
aux ministres et députés conservateurs se trouve limité; les syndicats
contraints dans leur pouvoir de dépenser (loi C-377); les groupes écologistes ciblés
par le fisc canadien pour leurs activités politiques; les chômeurs victimes
d’une nouvelle réforme de l’assurance-emploi. Ce qu’attaque le gouvernement
conservateur, c’est la société civile et sa capacité de mobilisation. Il
transforme ainsi la culture politique du pays et s’assure d’affaiblir à long
terme – bien au-delà de ses mandats – toute opposition à l’idéologie
conservatrice.
Rassurant.
Le bon père de famille protège sa famille contre les dangers qui la guettent.
Les conservateurs ont agi au plan interne par des politiques plus fermes face
aux jeunes contrevenants (loi C-10), par une révision des conditions
d’immigration, par une préférence pour la répression (notamment les peines de
prison) plutôt que la prévention. Mais ils ont également agi sur le plan
extérieur en privilégiant une politique militariste (d’abord en Afghanistan et
en Libye, maintenant en Syrie) et en pactisant inconditionnellement avec
Israël. Cette fois, c’est à la réputation autrefois exemplaire du Canada que le
gouvernement Harper s’est attaqué. Loin d’être perçu comme un exemple sur le
plan diplomatique, le Canada agit maintenant en voyou. Pire, il s’affiche
dorénavant comme une cible évidente pour les intégristes de tout acabit.
Notre
père de famille conservateur agit sur un horizon à très court terme. Comme
pourvoyeur, il oriente tout le dynamisme de son pays sur un secteur unique (l’énergie)
et fragilise ainsi la vitalité de l’économie canadienne à moyen et à long
terme. Comme autorité, il ne permet pas à ses citoyens de s’émanciper et
n’accepte aucune confrontation d’idées. Comme soi-disant porteur de sécurité,
il attise plutôt les doutes et les intolérances, se refusant à investir en
prévention. Demeurons dans la métaphore. Peut-être est-il temps de quitter le foyer familial en rompant les liens avec ce
conservatisme paternaliste. Peut-être est-il temps de faire sa vie ailleurs, au
sein d’un foyer plus moderne. Peut-être est-il temps de déménager –
politiquement – le 19 octobre.
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