La
mort sur une plage turque du petit Aylan Kurdi le 2 septembre dernier a éveillé
la population mondiale à une situation humanitaire alarmante. Désormais, la
crise des réfugiés turcs avait un visage. Or, la situation ne doit pas se
réduire à quelques récits de vie. Selon l’Agence des Nations unies pour les
réfugiés (UNHCR), le nombre de réfugiés syriens aurait dépassé les quatre
millions. La Syrie serait devenue le nouveau foyer du radicalisme islamiste. Et
le gouvernement autoritaire de Bachar el-Assad se maintiendrait au pouvoir
contre vents et marées. Qu’est-ce qui a mené à une situation aussi alarmante?
Le régime Assad
Le
père de Bachar el-Assad (Hafez) est devenu chef de l’État syrien en 1970 suite
à un coup d’État. Cela fait donc près d’un demi-siècle que les Syriens vivent
sous le pouvoir autoritaire des Assad, Bachar ayant succédé à son père après la
mort de ce dernier en 2000. Le maintien au pouvoir des Assad s’explique par la
mise en place d’une armée puissante et de mesures de sécurité importantes. Sur
le plan extérieur, durant la Guerre froide, la stabilité fut assurée par
l’alignement de la Syrie sur l’Union soviétique. Encore aujourd’hui, le
gouvernement syrien demeure d’ailleurs un allié important de la Russie de
Poutine, cette dernière possédant toujours des installations portuaires dans la
ville de Tartous en Méditerranée. Depuis la révolution khomeyniste, la Syrie
entretient aussi des liens économiques et diplomatiques solides avec l’Iran, venant
ainsi contrebalancer le pouvoir démesuré d’Israël dans la région.
En
2000, l’arrivée au pouvoir de Bachar avait alimenté les espoirs qu’une place
plus importante serait accordée à la défense des droits humains. Après tout, le
jeune dictateur avait étudié en Europe et tout indiquait qu’il souhaiterait
libéraliser son pays. La lune de miel fut de courte durée. Après une brève
période de libéralisation, appelée le «Printemps de Damas» (2000-2001), la
Syrie replongea dans l’autoritarisme. Il faudra attendre l’autre «Printemps»,
arabe celui-là (2011), pour que la population se soulève et réclame un
changement de régime.
Une opposition
plurielle
La
Syrie est composée de plusieurs communautés et plusieurs groupes d’intérêt. La
vaste majorité de la population est de confession sunnite et les rivalités
intercommunautaires, avec les Alaouites au pouvoir ou avec les Kurdes au Nord, viennent
parfois attiser les tensions dans le pays.
Le
soulèvement des populations du monde arabe en 2011 se propagea jusqu’à la Syrie
où des populations d’insurgés réclamèrent plus de libertés et de démocratie.
C’est le cas notamment du chanteur Ibrahim Kachouch ou de l’actrice Fadwa
Suleiman qui, tous deux, défendirent la cause insurgée au péril de leur vie. Le
premier fut d’ailleurs assassiné en juillet 2011. L’opposition à Assad
s’organisa particulièrement dans la troisième ville du pays, Homs, mais le
régime répliqua sévèrement par des mesures répressives et par des attaques
sanguinaires à l’endroit des rebelles. Le régime Assad fut affaibli, mais il
propagea tout de même la violence et les exactions, créant ainsi un terreau
fertile à l’éclosion de radicalismes de toutes sortes. Par le fait même, les
conditions se réunirent pour que l’État islamique (EI) – aussi appelé Daech – s’immisce
en Syrie et en Irak, deux pays qui vivent des périodes
d’instabilité politique et économique depuis plusieurs années. À l’instar des
rebelles de 2011, les membres de l’EI souhaitent une déstabilisation du régime
Assad, mais eux la veulent au profit d’une interprétation radicale de l’islam.
Dans une vaste partie du pays, particulièrement à la frontière de l’Irak, les
populations locales se radicalisent ou sont soumises au joug et à la terreur de
l’EI. Tous les ingrédients d’une crise humanitaires sont maintenant en place.
L’intervention
étrangère
En
adoptant une vision du monde manichéenne, nous ne pouvons que nous sentir
impuissants et incapables de comprendre les enjeux sous-tendant le conflit
syrien. Qui sont les bons? Qui sont les méchants? Doit-on soutenir les
rebelles? L’EI? Le régime Assad? De toute évidence, une vision simpliste ne
peut contribuer à régler un conflit complexe. Mais quoi qu’il en soit,
l’intervention étrangère contribue à aggraver le conflit et à transformer la
Syrie en zone d’affrontement des grandes puissances. Des pays sunnites comme
l’Arabie Saoudite ou le Qatar auraient contribué à armer l’EI. La Turquie
profiterait de la confusion généralisée pour bombarder l’EI, mais aussi les
populations kurdes du Nord avec qui elle entretient des rivalités séculaires.
Ces mêmes Kurdes sont pourtant soutenus et armés par les États-Unis et d’autres
puissances occidentales pour combattre l’EI. L’Iran et la
Russie, quant à eux, soutiennent militairement le régime Assad contre l’EI. La
Russie souhaite d’ailleurs affaiblir les radicaux de l’islam, de peur qu’ils se
propagent dans les régions musulmanes de la Russie. La puissance militaire
israélienne, quant à elle, promet d’attaquer la Syrie si le Hezbollah ou l’Iran
s’immisce de façon trop importante sur le territoire syrien. Enfin, les
États-Unis, tout comme le Canada d’ailleurs, veulent éviter un affrontement au
sol, mais poursuivent les bombardements en souhaitant se débarrasser
prioritairement de l’EI, secondairement de Assad.
En
somme, le casse-tête syrien semble loin d’être résolu. Tout indique que
l’intervention étrangère contribue davantage à exacerber le conflit et à
alimenter les radicalismes de tout acabit. Peu surprenant qu’autant de Syriens
cherchent à fuir cette zone aux allures de conflit mondial. Devant cet état de
fait, et malgré les réticences et les craintes plurielles sur le plan
identitaire, le devoir humanitaire n’est pas au bombardement, mais à l’accueil
de ces réfugiés.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire