Ce texte est une réponse à la critique de mon article États-Unis : de la prospérité d'hier à l'endettement de demain publié dans Le Nouvelliste du 20 mars 2006. Vous pouvez lire cette critique sur le blog de David Descôteaux http://daviddescoteaux.blogspot.com/.
En date du 27 mars, David Descôteaux répondait brillamment à mon article écrit une semaine plus tôt sur les risques de crise économique aux États-Unis d’Amérique. Entre autres choses, il me répondait avec justesse que «les exportations des États-Unis vers la Chine ont […] doublé entre 1999 et 2005» et que l’économie étasunienne était bien en vie. Il allait toutefois trop loin en soulignant qu’au fond, la dette américaine n’était aucunement symptomatique d’une crise à venir.
En Occident, les ménages s’avèrent être essentiels pour stimuler l’économie par leur rythme effréné de consommation. En parlant de dette dans Le Nouvelliste du 20 mars dernier, je signalais clairement le fait que c’était justement celles des ménages américains dont il fallait se préoccuper, non seulement du déficit commercial comme le sous-entend M. Descôteaux. En ce qui a trait à la dette du Québec de manière spécifique, aux dires de M. Descôteaux, on obtient «122% du PIB [du Québec] en cumulant sa dette provinciale et sa part de la dette fédérale». Quelle est la crédibilité d’un tel argument qui ne tient pas également compte de la part des revenus fédéraux? Il ne faudrait pas manipuler les chiffres de façon trop simpliste quand même. Quant à la chute du dollar américain, non seulement elle est probable, mais elle est déjà amorcée. Plus de 40% de chute par rapport à l’euro depuis la création de cette devise.
M. Descôteaux croit que «les États-Unis demeureront une superpuissance pour encore longtemps». Débattre de ce qu’est une superpuissance nous mène directement au domaine de l’interprétation et il est peu pertinent de faire un débat conceptuel. Par contre, il est tout à fait anachronique de cultiver le mythe d’une croissance économique illimité de l’Occident. Comme si les États-Unis et l’Europe n’avaient pas créé leur richesse – qu’on parle de colonialisme ou de néocolonialisme – sur le dos des pays tiers-mondistes tout au long des 19e et 20e siècles. Comme si la richesse se créait de rien, un peu comme Adam Smith le pensait lors de la naissance de la révolution industrielle dans son Écosse du 18e siècle. En réalité M. Descôteaux, quand la croissance illimitée apparaît, elle porte le nom de spéculation et est présage de crise (Vienne 1873, Wall Street 1929, Asie 1997).
Peut-on, au Québec, parler contre des politiques étasunienne sans se faire soupçonner d’antiaméricanisme? Faut-il minimiser nos propos chaque fois qu’on critique une intervention militaire, une politique sociale ou une politique économique de nos voisins du sud? Mon article traitait de l’économie des États-Unis et j’en profitais pour effleurer d’autres problèmes qui frappent le pays (pauvreté, racisme). Non, je n’ai pas parlé des paysans chinois qui (sur)vivent avec trois fois moins de revenus que leurs concitoyens des villes; ni des Noirs d’Afrique du Sud qui vivent toujours les effets socio-économiques de l’apartheid. Oui, j’aurais pu souligner que d’autres pays (comme la France) ont des politiques d’intégration des immigrants complètement pitoyables; ou que le Québec connaît aussi, à sa façon, des problèmes liés à la pauvreté, à l’accès aux logements ou à l’intégration des immigrants. Cependant, il ne s’agissait pas là de mon propos et j’espère que M. Descôteaux saura le remarquer à sa deuxième lecture de mon article.
Oh! Dernier détail. M. Descôteaux met le problème des écarts de richesse sur le dos des «bureaucrates corrompus qui s’en mettent plein les poches». Il est beau de voir d’honnêtes citoyens dénoncer des abus de la sorte, mais il est surtout surprenant de voir comment une position idéologique peut entraîner des interprétations superficielles d’un problème aussi complexe que celui de la pauvreté. Pourquoi ne pas plutôt cibler les politiques conservatrices entreprises depuis les crises du pétrole des années soixante-dix (par les gouvernements Thatcher, Reagan, Mulroney entre autres) comme créatrices des conditions nécessaires à la désagrégation de la classe moyenne en Occident? Et c’est maintenant la suprématie de l’idéologie néolibérale à travers tout le globe (programmes d’ajustement structurel; ouvertures inconditionnelles des frontières) – la «fin de l’Histoire» dirait Fukuyama? – qui provoque l’accroissement de la misère dans les pays dits en voie de développement ainsi qu’une walmartisation des conditions de travail en Occident. Vous savez M. Descôteaux, je n’accuse pas les États-Unis de tous ces maux. Cependant, vous devrez admettre que la droite conservatrice au pouvoir depuis 2001 n’est pas étrangère à tout cela.
1 commentaire:
Bonjour Daniel,
Heureux de faire ta connaissance. J'ai bien aimé ta réponse; le ton est celui d'un intellectuel honnête et non dogmatique, et c'est ce que j'apprécie le plus. L'objectivité en science sociale est impossible, disait Weber avec lucidité. C'est pourquoi je considère inutile d'en rajouter sur le sujet. Un sociologue et un économiste, ça s'entend rarement sur les causes des inégalités dans le monde. Ce qui compte, c'est qu'à nous deux, on a fait pas mal le tour de la question :-)
J'ai lu quelques uns de tes autres textes (un peu plus lyriques). Je crois qu'on partage certaines maladies... n'hésite pas à m'écrire par courriel (voir mon blog) si tu veux discuter (ou t'obstiner, ça j'adore), je n'ai plus beaucoup de temps pour le blog...
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