Le Québec vit un moment historique. Depuis douze semaines, près de 200 000 étudiants vivent ce «printemps érable» et manifestent contre la hausse vertigineuse des droits de scolarité. Dans un contexte politique où l’on ne cesse de parler d’apathie, cette mobilisation est exemplaire à bien des égards.
Pourtant, depuis le début de la crise, la ministre Line Beauchamp cherche à discréditer cet élan d’engagement et de solidarité. Elle se cache derrière d’efficaces slogans tels que : «ils doivent payer leur juste part»; «une augmentation de 50 cents par jour»; «ce n’est pas une grève, mais un boycott». Dans ce dernier exemple, non seulement la ministre utilise un anglicisme (il faudrait dire «boycottage»), mais elle a tout simplement tort (selon Le Petit Robert). Qu’importe! L’important est de gagner la guerre de l’opinion publique. Ainsi, le gouvernement, plus machiavélique que jamais, accuse les étudiants de tous les maux. De manquer de démocratie. D’encourager la violence. De refuser de négocier. D’agir en enfants-rois. D’être irresponsables. Reprenons ces accusations une à une.
Le déficit démocratique actuel prend sa source directement chez les libéraux. Ils refusent de reconnaître les votes en faveur de la grève, ils se moquent des procédures de vote des associations étudiantes, ils nient l’ampleur des mobilisations (notamment celles des 22 mars et 22 avril) et ils encouragent la judiciarisation du conflit. Rappelons que ce gouvernement qui accuse le mouvement étudiant de manquer de démocratie est celui-là même qui, depuis 2003, se refuse avec entêtement d’envisager une refonte de notre mode de scrutin arriéré.
En ce qui a trait à la violence, difficile de la nier. La prolongation du conflit entraîne une exacerbation des tensions. Du côté étudiant, les occupations et les manifestations peuvent potentiellement dégénérer (nous avons déjà quelques exemples). Mais du côté du gouvernement, la violence est beaucoup plus insidieuse. Elle est répressive (par l’entremise des forces de l’ordre), elle est psychologique (en choisissant de miser sur l’essoufflement du mouvement plutôt que sur la négociation), elle est économique (par le refus de négocier sur la question des droits).
Par ailleurs, le gouvernement se dit prêt à négocier. À condition de «condamner la violence» (dont il est la source). À condition de «respecter une trêve». À condition «d’exclure la CLASSÉ». Ceci n’est pas une négociation, mais un chantage visant à diviser le mouvement étudiant. Heureusement, jusqu’à présent, les associations étudiantes restent sagement coalisées, au grand dam de Beauchamp et Charest. Une négociation doit se faire de bonne foi. Et elle nécessite du temps (plus de 48 heures). Aussi, les offres doivent se faire en face à face, et non par l’entremise des médias, comme la «solution globale» de vendredi dernier.
Quant à l’accusation éhontée comme quoi les étudiants agissent en «enfants-rois», c’est bien mal connaître le phénomène. L’enfant-roi est narcissique. Il valorise son bonheur personnel, ici et maintenant! Dans ce contexte, l’enfant-roi se préoccuperait davantage de la perte de sa session ou de son emploi d’été que de l’avenir des universités québécoises. Les étudiants mobilisés actuellement symbolisent plutôt un élan de solidarité sans précédent dans l’histoire récente du Québec. Ils questionnent le modèle québécois et suggèrent des pistes de solution à long terme. Tout le contraire de l’enfant-roi!
En somme, le gouvernement Charest est le seul irresponsable dans ce conflit. En faisant la sourde oreille à la plus longue mobilisation étudiante de l’histoire du Québec, il attise le cynisme à l’égard de toute la classe politique. Prisonnier d’une logique marchande, il persiste à se comparer aux provinces et pays qui ont choisi de faire de l’éducation un bien de consommation. D’autres modèles existent. Mais, pour le gouvernement, à quoi bon les mentionner? Que les étudiants s’enlisent dans une société du crédit! Qu’on continue d’attaquer la fiscalité progressive! Qu’on continue d’opposer la «classe moyenne» aux étudiants, comme s’il s’agissait d’une lutte à finir entre les deux! Navrant!
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