Voilà plus d’un an que le Parti conservateur du Canada a été
réélu à la Chambre des communes. Au moment de leur réélection (le 2 mai 2011), les
conservateurs laissaient déjà entrevoir que leur nouvelle majorité serait
l’occasion d’imposer un raffermissement dans plusieurs dossiers et d’ainsi opérer
un changement de «culture politique» dans tout le pays.
C’est dans cette optique, et sous l’égide des ministères des
Affaires étrangères (John Baird) et de la Coopération internationale (Bev Oda),
que le gouvernement de Stephen Harper poursuit et accélère les transformations
de l’aide internationale. L’Agence canadienne de développement international
(ACDI) avait déjà amorcé la coupure du financement d’organisations
internationales dont la mission était – semble-t-il – trop éloignée de la
nouvelle culture politique conservatrice. Juste à penser à KAIROS qui, dès
décembre 2009, avait vu son financement coupé en raison de son engagement dans
la campagne «boycott, désinvestissement, sanctions» à l’encontre d’Israël. Dans
cette suite logique, depuis le début de l’année 2012, Développement et paix s’est
vu amputer son budget des deux tiers tandis que Droits et démocratie vient tout
simplement d’être démantelé. En outre, le ministre des Finances Jim Flaherty
vient d’annoncer des coupures de 10% (378 millions de dollars en trois ans)
dans le budget de l’ACDI.
Parmi les victimes des dernières coupures, on retrouve une
douzaine de pays dont l’aide est supprimée (Rwanda, Chine, Cambodge, Népal,
Zambie, Zimbabwe, Niger) ou diminuée (Afghanistan, Pakistan, Bolivie, Tanzanie,
Mozambique). On retrouve également les organisations québécoises (comme le
Comité de solidarité/Trois-Rivières) qui, malgré l’expertise qu’elles ont
développée au cours des décennies, sont de plus en plus souvent ignorées par
l’ACDI. C’est à tout le moins ce que démontre la répartition inégalitaire des
fonds (seulement 11,2% des fonds sont alloués au Québec). D’ailleurs, dans un
communiqué publié en avril dernier, l’Association québécoise des organismes de
coopération internationale (AQOCI) dénonçait vertement ces coupures. Elle
rappelait qu’en ne dépassant pas 0,3% de son produit intérieur brut (PIB) en
aide au développement, le Canada s’éloigne sans cesse de l’objectif de 0,7% de
l’Organisation des Nations unies (ONU), tel que voté par l’Assemblée générale
en 1970. Malgré ce constat, la ministre Oda refuse toujours de s’expliquer à
l’AQOCI, un acteur pourtant incontournable dans l’aide internationale.
Difficile de croire que quiconque puisse profiter de cette
hécatombe en matière de coopération internationale. Pourtant, certains se
réjouissent d’un changement de cap. En effet, malgré la période de disette,
l’ACDI initie de nombreuses collaborations avec des sociétés minières. Grâce à
un subterfuge astucieux, des compagnies déjà milliardaires (IAMGOLD, Barrick
Gold, Rio Tinto Alcan, Lundin) obtiennent des subventions indirectes – par
l’entremise de fondations – pour développer des projets de coopération dans les
pays où elles sont actives.
Qu’elles le fassent au nom de la coopération internationale tient
de l’indécence et du délire. Rappelons qu’il s’agit, pour plusieurs, des mêmes
acteurs que ceux dénoncés en 2008 par Alain Deneault dans son ouvrage Noir Canada (maintenant mis à «l’index
néolibéral»). Loin de représenter des modèles en matière de développement
humain, ces compagnies possèdent une réputation de voyous. Dans les régions où
elles exploitent, on les accuse de détériorer l’environnement (en profitant de
l’absence de législation des pays du Sud) et d’engendrer des conflits sociaux. En
2009, un rapport de l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs
affirmait que «les sociétés canadiennes forment le groupe le plus significatif
en ce qui concerne les incidents malheureux dans les pays en voie de
développement». Dans les Andes, Barrick Gold est accusé de manque de
transparence, de corruption et de non-respect des règles environnementales. En
Tanzanie et en Papouasie-Nouvelle-Guinée, on accuse des employés de Barrick Gold
d’être responsables de plusieurs abus sexuels, agressions et meurtres. En somme, les accusations à l’endroit des
minières canadiennes fusent de toutes parts : Corp Watch, RepRisk,
Amnistie internationale, Mines Alert Canada, Human Rights Watch.
Pourquoi financer de telles sociétés? Officiellement, l’objectif
recherché par les sociétés minières serait, semble-t-il, de redorer leur image.
Pour ce faire, des organisations internationales comme Vision mondiale s’associent
aux minières, permettant de donner plus de crédibilité aux divers projets
déposés. C’est ce mariage d’intérêts qui permet l’obtention des généreuses
subventions. À ce titre, l’ACDI a déjà annoncé des investissements de plus de
30 millions de dollars dans des projets avec des sociétés minières. Sur le plan
éthique, n’est-il pas complètement inadmissible que de telles compagnies
profitent de fonds publics pour développer leurs projets?
Ces dernières semaines, le dossier de l’achat d’une flotte
de 65 appareils F-35 par l’armée canadienne (au coût probable de 25 milliards
de dollars, selon le vérificateur général) occupe un espace médiatique central.
C’est tant mieux, car ce scandale dévoile l’irrespect des institutions
démocratiques de la part des conservateurs. Il dévoile également l’asymétrie
des coupures dans les programmes fédéraux et le caractère belliqueux du
gouvernement Harper. Mais pour illustrer la chose, d’autres dossiers mériteraient
une aussi grande médiatisation. C’est justement le cas des nouvelles
orientations du gouvernement en matière de coopération internationale. Elles
causent préjudice à des organisations expérimentées ayant développé des
expertises et des réseaux à la grandeur de la planète. Mais surtout, elles provoquent
un tort irréparable à la réputation (autrefois modèle) du Canada à
l’international.
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