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Professeur de sociologie et d'histoire.

jeudi 29 août 2013

La Syrie : intervention aux conséquences imprévisibles

Une intervention militaire occidentale semble se préparer sur la Syrie pour les prochains jours ou les prochaines semaines. Des réactions de consternation fusent de tous les horizons (politiques, médiatiques et populaires) depuis les attaques commises aux armes chimiques le 21 août dernier (vraisemblablement par le gouvernement syrien). John Kerry, secrétaire d’État étasunien, parle d’«indécence morale». Il accuse nommément le gouvernement de Bachar al-Assad d’être responsable de ces attaques et d’être réticent à collaborer avec les enquêteurs de l’Organisation des Nations unies (ONU).


Ainsi, il s’avère impératif d’intervenir! Mais sous quelle forme? Réfléchissons à trois conséquences imprévisibles d’une action de type militaire : la relève politique syrienne, la crise humanitaire et les tensions diplomatiques.

La Syrie est en guerre civile depuis plus de deux ans. Elle a connu ses propres mobilisations liées au Printemps arabe (dès février 2011), mais le gouvernement de Bachar al-Assad a rapidement réprimé cette opposition. Par la suite, plusieurs villes (Deraa, Homs, Hama) ont organisé une résistance au pouvoir politique central, avec des conséquences tragiques. Par exemple, à Homs, en février 2012, ont eu lieu des massacres de civils. Cependant, bien que le gouvernement syrien puisse (et doive) être tenu en bonne partie responsable de la dégénérescence de la situation, rien ne laisse présager qu’une intervention militaire viendrait calmer le jeu. Au contraire. Une fois al-Assad délogé, qui prendrait la relève? L’opposition n’est pas monolithique, elle est diverse, éparse, hétérogène. En fait, elle s’est même radicalisée depuis deux ans avec l’arrivée de djihadistes se réclamant d’Al-Qaïda dans le nord du pays. Ceux-ci ne s’opposent pas qu’au gouvernement, mais aussi à d’autres groupes d’opposants (les populations kurdes notamment). Une action militaire risquerait d’attiser davantage la violence et laisserait la Syrie dans la désolation et l’instabilité politique pour plusieurs années encore. 
La situation humanitaire est également catastrophique. En deux ans et demi, la guerre civile aurait fait près de 100 000 victimes. Quant aux réfugiés politiques, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies, ils sont près d’un million à s’être déplacés dans le pays et près d’un demi-million ayant afflué dans les pays limitrophes (Jordanie, Turquie, Liban, Irak). Dans un tel contexte, rien ne laisse croire qu’une intervention militaire pourrait améliorer la situation. Bien au contraire, par l’exacerbation des violences, elle risquerait d’alimenter le flot de réfugiés et, par le fait même, déstabiliser les pays voisins et amplifier la crise humanitaire.

Il y a ensuite la situation diplomatique. La présente guerre appelle le sentiment d’urgence dans la communauté internationale. Pourtant, les négociations au Conseil de sécurité de l’ONU ont achoppé. Ni la Russie, ni la Chine ne souhaitent une intervention militaire. D’aucuns souligneront le rôle ignoble de la Russie qui agirait comme fidèle allié d’un dictateur sanguinaire; d’autres, a contrario, mettront plutôt l’accent sur le fait que la Russie semble être le seul acteur de poids qui souhaite régler le conflit par les voies diplomatiques (Conférence de Genève-2 proposée en mai 2013). Toujours est-il qu’une action conjointe des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne aurait des conséquences diplomatiques fort néfastes. Sans être un précédent (Irak, mars 2003), une attaque sans l’aval de l’ONU – dont les inspecteurs doivent compléter leur travail, disons-le – viendrait discréditer l’approche multilatérale, en plus d’exacerber les tensions entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. D’ailleurs, même si le pays de Poutine se comporte lui-même en voyou à bien des égards, il demeure une puissance militaire et économique avec laquelle l’Occident ne peut se permettre de rompre les liens. Pourtant, le cas syrien et la récente affaire Snowden nous font presque oublier que la Guerre froide est terminée depuis plus de deux décennies. 

La guerre civile dure depuis trop longtemps et l’escalade de la violence, chez tous les belligérants, ne fait que s’accélérer. Si une intervention étrangère est nécessaire, elle s’avérera assurément plus efficace par la diplomatie que par les armes. Dans ce domaine, les États-Unis et la Russie représentent les pièces maîtresses du puzzle syrien.

 

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