Au
début de l’année 2014, Écosociété faisait paraître un ouvrage sur l’État
d’Israël. Son auteur est Yakov Rabkin, professeur d’histoire à l’Université de
Montréal. Ce dernier s’intéresse aux relations qu’entretient le judaïsme avec
le projet sioniste. Il s’est particulièrement fait connaître depuis la publication
de Au nom de la Torah : une
opposition juive au sionisme aux Presses de l’Université Laval (2004). Au
Canada, il est connu pour certaines de ses interventions médiatiques portant
sur les relations entre les gouvernements canadien et israélien (Tout le monde en parle, 16 février
2014).
Les
neuf chapitres du livre sont de longueurs inégales, mais deux occupent plus de
place. Ils traitent de l’entreprise sioniste (chapitre 4) et de l’opposition
juive au sionisme (chapitre 7). Rabkin cherche à faire la démonstration que le
projet sioniste est d’abord un projet laïque, inspiré par la montée des
nationalismes dans le XIXe siècle européen. Le projet est tellement
peu religieux qu’il s’oppose même à trois serments à Dieu rapportés par le
Talmud : «ne pas rentrer en masse et en force dans la Terre d’Israël, ne
pas se rebeller contre les nations et que ces dernières n’asservissent pas à
l’excès le peuple juif» (p. 23). Or, vous l’aurez compris, d’aucuns prétendent
que les atrocités commises par les nazis violeraient le troisième serment et
annuleraient ainsi les deux premiers.
L’ouvrage
de Rabkin est très dense et comporte un lot impressionnant d’informations sur
l’histoire juive. Ne pouvant établir qu’un portrait sommaire, retenons trois
thèmes abordés : la fabrication d’une nouvelle langue, l’existence de chrétiens
sionistes et la ségrégation en Israël.
Premièrement,
aux yeux de Rabkin, l’histoire du sionisme et de l’État d’Israël serait marquée
par l’essor d’un sentiment national ayant peu à voir avec la religion juive. Par
exemple, les sionistes, en cherchant à revaloriser la langue hébraïque,
auraient en fait fabriqués une toute nouvelle langue, plus près du russe, dans
sa structure, que de l’hébreu des textes sacrés. En outre, le sionisme
encouragerait un déracinement culturel par rapport au passé de juifs qui, par
le passé, parlaient le yiddish et étaient assez bien assimilés à leurs pays d’origine
(d’Europe de l’est surtout). L’épouvantable vague d’antisémitisme qui déferla
sur l’Europe dans la première moitié du XXe siècle serait indubitablement
liée à ce désir de reconstruire une identité pour le peuple juif, en
s’inspirant de la montée des nationalismes en Europe.
Deuxièmement,
non seulement le sionisme n’est pas une entreprise juive, mais il peut être
porté par des chrétiens, notamment les groupes évangéliques. Rabkin rappelle
que les plus grands appuis à l’État d’Israël proviennent de groupes chrétiens
qui perçoivent que le Second Avènement du Christ ne serait possible que si la
Terre d’Israël s’avérait être possession exclusive des juifs. Les chrétiens
joueraient un rôle tellement central qu’aux yeux d’un sioniste américain, «nous
pou[rri]ons nous passer de 80 pour cent des juifs; [car] ce sont surtout les
bons chrétiens qui défendent l’État d’Israël» (p. 242). Cela expliquerait notamment
l’importance des lobbys sionistes aux États-Unis et au Canada (de façon encore
plus marquée depuis une décennie).
Troisièmement,
notons que Rabkin souligne à quel point, derrière des apparences de démocratie,
Israël constitue un lieu de ségrégation. Les Palestiniens, évidemment, sont les
premiers concernés par des politiques discriminatoires de toutes sortes. Mais
les Israéliens eux-mêmes sont ségrégués, à l’instar des populations juives
arabes qui, dans l’histoire récente, ont simplement servi d’«instruments de
dépossession des Palestiniens tout en subissant un statut inférieur au sein de
la société israélienne» (p. 155).
Des
détracteurs de Rabkin (dans certaines organisations sionistes canadiennes) plaident
pour le fait qu’il adopte la position de groupes religieux traditionnalistes et
qu’il est ainsi en dissonance avec la modernité et le monde laïque autour
duquel le projet sioniste se déploie. En plus, ces derniers l’accusent de
défendre des groupes radicaux tels que Lev Tahor (qui fait les manchettes au
Canada). Or, cet amalgame est simpliste et malhonnête. Rabkin présente bel et
bien la position de groupes religieux ultra-orthodoxes (Haredims), mais dans le
but évident de démontrer qu’il est inapproprié d’associer le sionisme à
l’ensemble du monde juif. D’ailleurs, Rabkin appuie également sa démonstration
sur l’opposition de juifs se réclamant d’un cosmopolitisme libéral. Il réfère
aussi régulièrement à des intellectuels juifs qui dénoncent le projet sioniste
(Arendt, Judt, Berger, Grossman). En somme, l’ouvrage de Rabkin s’avère très
instructif. Shlomo Sand, sur la quatrième de couverture, résume le mieux
l’importance de l’ouvrage. «Celui qui voit dans le sionisme une continuation du
judaïsme ferait bien de lire ce livre. Mais celui qui croit que l’État d’Israël
est un État juif est obligé de le lire».
Référence : RABKIN, Yakov, Comprendre l’État d’Israël. Idéologie, religion et société, Montréal, Écosociété, 2014, 269 p.
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