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Professeur de sociologie et d'histoire.

mardi 10 juin 2014

Un mondial qui tourne au vinaigre



La Coupe du monde de football se déroule au Brésil du 12 juin au 13 juillet. Il s’agit sans contredit de l’événement le plus attendu de l’été pour les amateurs du ballon rond. 32 pays lutteront pour succéder à l’Espagne, championne de l’édition 2010.



À l’instar des Jeux olympiques, ce type de méga-événements pose des questions éthiques sérieuses. Le gouvernement brésilien aurait dépensé plus de 14 milliards de dollars en fonds publics dans le but de préparer l’événement, notamment en construisant des infrastructures dans 12 villes hôtes. À cet effet, des soupçons de corruption dans les appels d’offre, ainsi que des retards dans la construction de stades ont semé les germes d’une contestation populaire. 

C’est que parallèlement, les besoins sociaux du Brésil s’avèrent importants. Bien que la situation se soit considérablement améliorée sous les présidences de Luiz Inácio Lula da Silva (2003-2011) et de Dilma Roussef (2011 à aujourd’hui), pauvreté et violence demeurent des fléaux. Malgré une croissance élevée de son économie dans la décennie 2000, le Brésil serait toujours au 85e rang pour l’indice de développement humain (IDH). Une partie importante de la population (le tiers des habitants de Rio de Janeiro) habite des favelas. 

Malgré un projet de pacification pour préparer le Mondial et les J.O. de 2016 (lutte aux narcotrafiquants et aux milices), la criminalité semble connaître une augmentation en 2013-2014, particulièrement dans les quartiers plus touristiques[1]. L’expulsion de groupes criminels organisés aurait en quelque sorte créé un terreau pour la petite criminalité. En outre, comme corollaire à ces actions répressives, des villes en périphérie de Rio sont maintenant confrontées à l’essor du narcotrafic ayant migré.
Homicides intentionnels (taux par 100 000 habitants)

2007
2012
Canada
1,6
1,6
États-Unis
5,6
4,7
Brésil
23,5
25,2
Source : Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, 2014.

La «Revolta do vinagre»

Devant une situation socioéconomique insoutenable, une mobilisation fut organisée au printemps 2013. Elle visait initialement à dénoncer la hausse des tarifs d’autobus. Ce mouvement porte le nom de «Révolte du vinaigre» en raison du port de mouchoirs enduits de vinaigre pour protéger les manifestants des gaz lacrymogènes employés par les forces de l’ordre. Rapidement, le mouvement prend des proportions importantes et devient le symbole d’une lutte contre les inégalités symbolisées par le Mondial. 

Chronologie des événements
·         2005 : création du Movimiento Passe Libre pour revendiquer la gratuité du transport.
·         2008 : création de comités populaires de la Coupe du monde pour critiquer les dépenses publiques et les délogements causés par l’événement.
·         Mars 2013 : manifestations à Porto Alegre pour protester contre l’augmentation des tarifs d’autobus. Les protestations s’étendent à plusieurs villes du pays.
·         13 juin 2013 : Amnistie internationale dénonce la violence policière à l’encontre des manifestants.
·         20-23 juin 2013 : Plus d’un million de manifestants sortent dans les rues de plusieurs villes brésiliennes, incluant Rio de Janeiro. Des joueurs de l’équipe brésilienne de football appuient le mouvement.

Les mystifications du Mondial
Pour le sociologue du sport Jean-Marie Brohm, des événements sportifs comme le Mondial représentent deux grandes mystifications. D’une part, ils favorisent le sport-spectacle capitaliste menant les classes populaires à s’identifier à des «mercenaires multimillionnaires». D’autre part, ils font faussement croire en un exercice de la citoyenneté. «Les affrontements sportifs, surtout en football, dopés par les enjeux financiers extravagants et exacerbés par les rivalités nationales ou régionales, débouchent de plus en plus fréquemment […] sur des débordements criminels dans les gradins et autour des stades»[2].

Au-delà du Mondial
Quand les yeux de la planète sportive se détourneront du Brésil à la mi-juillet, en attente des J.O. de Rio (2016), les préoccupations sociales demeureront graves pour ce colosse d’Amérique du Sud. À l’approche des élections d’octobre, la présidente Dilma Roussef souhaite redorer son blason. L’économie est au ralenti (croissance de 2,3% en 2013) et l’inflation explose (plus de 6%) dans ce pays de 200 millions d’habitants. Mais plus important encore, elle devra répondre à ce mouvement populaire qui exprime la colère et le désarroi des populations vulnérables.


[1] Serge Boire, «Mondial au Brésil : une pacification bien imparfaite», La Presse, 8 juin 2014.
[2] Jean-Marie Brohm, «Le spectacle sportif, une aliénation de masse», Médiapart, 2 avril 2013.

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