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Professeur de sociologie et d'histoire.

jeudi 11 février 2016

Socialisme étasunien : un oxymore?

 La course à la présidence des États-Unis permet au monde entier de connaître Bernie Sanders, politicien du Vermont qui se définit comme « socialiste ». Être socialiste aux États-Unis, est-ce cohérent? Peut-on se dire socialiste sans risquer les amalgames avec le soviétisme, le castrisme ou la Corée du Nord, tous considérés comme ennemis de l’Amérique? Il semble que ce soit le pari de Sanders lors de cette élection.



Bien que le système politique aux États-Unis ait des allures de bipartisme (républicains contre démocrates), le socialisme étasunien possède une longue histoire. Le Socialist Party of America (et son candidat à la présidence Eugene Debs) a constitué une force importante dans les années 1910 et 1920. Il est cependant exact que jamais cette idéologie n’a réussi à quitter la marge. Cela s’explique sans doute partiellement par le programme interventionniste des démocrates de Roosevelt dans les années 1930. Mais surtout, socialisme et communisme semblent longtemps avoir été considérés comme synonymes. D’ailleurs, au milieu du XXe siècle (1950-1954), le maccarthysme traquait toute personne soupçonnée d’accointance avec les communistes. Une chasse aux sorcières s’était mise en place et elle ciblait, parfois de façon totalement arbitraire des gens qui dérangeaient l’ordre établi : intellectuels, artistes et homosexuels.

Bien que le socialisme soit resté marginal, il survit. C’est d’ailleurs au sein du Socialist Party of America que Bernie Sanders a fait son éducation politique. Il a participé aux divers mouvements sociaux en effervescence au cours des années 1960 (pour les droits civiques, contre la guerre du Vietnam). D’autres partis politiques tels que le Socialist Workers Party[1] étaient aussi très actifs à cette période, mais leur importance électorale est demeurée très modeste et elle ne cesse de s’amenuiser depuis.

Même après la chute de l’Union soviétique (1991), il semble toujours difficile de s’afficher comme socialiste aux États-Unis. Pour dénigrer Obama lors de la campagne de 2008, des journalistes de médias conservateurs (de Fox News notamment) l’accusaient d’être socialiste (l’insulte suprême!). Cependant, depuis cette campagne, des maux du système capitaliste ont émergé (crise des subprimes et endettement des ménages; crise sociale), favorisant possiblement une réconciliation avec quelques idées socialistes. Sanders centre d’ailleurs son combat sur la redistribution des richesses et sur une révolution politique qui permettrait une plus grande implication de la population dans le monde politique[2].

L’originalité de Sanders, c’est sa capacité à s’opposer au pouvoir en place. C’est comme socialiste qu’il est devenu maire de Burlington (1981-1989) et comme candidat indépendant qu’il devient successivement représentant (1991-2007) puis sénateur (2007 à aujourd’hui) du Vermont. En 2016, c’est maintenant par « intégration subversive »[3], qu’il souhaite représenter la formation démocrate et être élu 45e président des États-Unis en novembre. Peut-être est-il révolu le temps où « socialisme étasunien » était un oxymore. Car la popularité grandissante de Sanders, ainsi que la nature des problèmes socioéconomiques des États-Unis, laissent présager la résurgence de cette orientation politique au cours des prochaines décennies.




[1] Un de ses membres importants est l’auteur et militant pro-Castro Jack Barnes.
[2] Bhaskar Sunkara, « Un socialiste à l’assaut de la Maison Blanche », Le Monde diplomatique, janvier 2016.
[3] L’expression est de John Ziegler. Elle réfère à la stratégie d’intégrer des institutions pour les changer de l’intérieur.

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